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demeura à peu près nul, et le consul anglais qui y fut établi dès l’origine eut plus d’une fois à déployer beaucoup de fermeté pour se maintenir dignement au milieu d’une population peu bienveillante ; car en Chine, comme dans nos pays, il y a une grande différence entre le peuple des grandes villes, ramassis de tous les mauvais sujets des districts voisins, et les paisibles habitans des campagnes. Vers 1853, lorsque l’insurrection gagna vers le sud, et intercepta en partie les transports entre Canton et les provinces du centre, une maison américaine eut la pensée d’établir un comptoir à Fou-chou, d’y faire venir les thés noirs de l’intérieur, et de les exporter directement pour les États-Unis ou pour l’Europe. Malgré les difficultés de la navigation sur le fleuve Min, ce plan réussit. L’exemple de la maison Russell fut suivi par ses concurrens, et aujourd’hui le marché de Fou-chou entretient avec l’étranger des relations très actives. M. Fortune put terminer ses affaires en peu de jours, et comme la capitale du Fokien offre peu d’attraits pour le touriste, il songea au départ. Le port était rempli de jonques et de bateaux de passage en chargement pour le nord, et à une époque ordinaire rien n’eût été plus facile que de se mettre en route ; mais, à la faveur des troubles intérieurs de l’empire, la piraterie avait déjà pris sur les côtes un tel développement, qu’il eût été plus qu’imprudent pour un Européen de s’aventurer sous la protection du pavillon chinois. Un heureux hasard amena à Fou-chou un bateau à vapeur appartenant à la maison Russell, et M. Fortune put s’embarquer en toute sûreté à bord du Confucius. Notre voyageur ne fut pas le seul à se féliciter de cette bonne aubaine. Les mandarins de Fou-chou avaient de l’argent à envoyer à l’île de Formose, où venait d’éclater une insurrection, et ils étaient fort embarrassés de trouver les moyens de transport. Confier de l’argent aux bateaux chinois, même aux bâtimens de la marine impériale, c’eût été vouloir enrichir l’escadre de pirates qui croisait dans le canal de Formose. Les mandarins s’empressèrent de fréter le Confucius, qui reçut à son bord les précieuses caisses et une escorte d’officiers et de soldats. Voilà où en est réduit le gouvernement du Céleste-Empire : avec son armée et avec sa flotte, il n’est pas seulement capable de faire la police, et pour le moindre convoi de numéraire il faut qu’il ait recours au pavillon d’un marchand étranger ! Le soir de son départ, le Confucius dut mouiller à l’embouchure de la rivière Min, à cause des bas-fonds au milieu desquels il était impossible de s’engager pendant la nuit. Sur tous les points de l’horizon étaient postées des jonques suspectes, qui peut-être attendaient leur proie, car les pirates avaient probablement connaissance de la riche cargaison qui devait traverser le canal. La vue d’un steamer américain était de