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Nous ne quitterons pas la vieille cité sans visiter un cabinet très curieux où sont réunis de beaux spécimens de l’industrie et de l’art chinois aux temps les plus anciens. Le propriétaire de ce cabinet est un aimable gentleman que M. Fortune a rencontré à Ning-po dans la boutique d’un marchand de curiosités. Le goût des choses antiques et rares, ainsi que la manie des vieilleries et des excentricités artistiques, ne sont pas moins répandus en Chine qu’en Europe, et l’étranger qui débarque dans les ports du Céleste-Empire peut en juger, dès les premiers pas, d’après le nombre, relativement considérable, des magasins où sont exposés, autour de quelques pièces réellement belles, mille objets de toute nature, rouillés, poudreux, plus ou moins cassés, parfois très laids, que l’on décore, pour la vente, du nom d’antiquités. Dans les villes ouverte au commerce européen, les boutiques contiennent une grande quantité de vieux ustensiles, pacotille d’antiquités pour l’exportation à l’adresse du voyageur étranger qui veut absolument rapporter dans sa patrie, avec les potiches de rigueur, quelque souvenir méconnaissable du temps des Mings. Je confesse que j’ai passé par là. C’est dans la Chine de l’intérieur, dans la vraie Chine, que siège le grand commerce de curiosités, et le cabinet de l’amateur de Tse-ki donnerait, d’après la description qu’en a faite M. Fortune, une haute idée de l’importance de ce trafic et de l’intérêt qu’il présente La porcelaine, en particulier le genre craquelé, la laque rouge, les bronzes, les émaux, les agates, les jades, voilà le fonds d’une collection respectable. Quant aux produits de l’art moderne, ils y figurent à peine, et ils sont en effet très inférieurs pour la forme, pour la matière, et surtout pour la couleur, aux produits anciens. Les craquelés que l’on fabrique aujourd’hui n’ont, pour ainsi dire, point de valeur ; l’art de fixer les couleurs sur la porcelaine serait, assure-t-on, perdu ; les émaux qui remontent à six ou huit cents ans sont seuls appréciés par les connaisseurs. Enfin les Chinois n’admettent dans leur collection aucun objet d’art étranger, soit ancien, soit moderne. Si vous leur faites cadeau d’un bon tableau où d’un beau bronze d’Europe, ils se résigneront à l’accepter ; mais, s’il fallait l’acheter, ils s’abstiendraient. Toutes leurs prédilections, toutes leurs convoitises se portent vers les antiques de leur pays. Comme le peuple chinois est essentiellement pratique et disposé à se préoccuper avant tout de l’intérêt matériel dans le train ordinaire de la vie, on peut être étonné de le voir si fortement épris des choses du passé et se passionner pour l’art national ; mais d’une part cette recherche et cette délicatesse de goût se rencontrent principalement dans les classes élevées, et il n’est pas surprenant qu’un lettré riche se laisse aller à un penchant qui, de tout temps et en tout