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de hautes dignités qui lui procurent la compensation de ses sacrifices pécuniaires. Les prélats du bouddhisme ne vivraient donc pas de l’autel ; mais ce n’est point manquer d’égards envers M. Fortune que de ne pas s’en tenir absolument à ces informations, recueillies rapidement et au hasard, sur l’organisation de l’épiscopat chinois : je ne sache pas qu’on ait mentionné nulle part ailleurs ce détail assez curieux, qui se rattache à la nomination des évêques bouddhistes. Peut-être dans ces derniers temps la vénalité a-t-elle, dans les offices religieux comme dans les emplois civils, remplacé l’ancien système, d’après lequel les honneurs étaient conférés aux plus dignes.

La science et l’étude ne perdent jamais leurs droits. N’oublions pas que notre voyageur ne s’est mis en route que pour visiter un district renommé pour la culture du thé. Du temple d’Ayuka, où lui avait été offerte une hospitalité simple et cordiale, M. Fortune rayonnait dans les villages et dans la campagne, où il pouvait examiner à l’aise la cueille des feuilles de thé, et, ce qui nous intéressera davantage, la condition matérielle et sociale du paysan chinois. La plus grande activité règne dans la plaine, car on est au moment de la principale récolte ; les moissonneurs sont partagés par groupes de huit à douze personnes, hommes, femmes et enfans, sous la direction d’un vieillard. Chaque famille travaille sur son petit carré de terre. Les ouvriers dont on loue les services sont payés à la tâche, et les plus habiles peuvent gagner de 60 à 90 centimes par jour. Les salaires des laboureurs dans cette région de la Chine varient de 20 à 30 centimes par journée, non compris la nourriture, qui est fournie par le maître, et qui ne coûte guère plus de 30 à 40 centimes. La main-d’œuvre est donc bien peu élevée, surtout si l’on considère que le Chinois est très laborieux, et qu’il abat, comme on dit vulgairement, beaucoup de besogne. On doit même s’étonner qu’avec une nourriture qui nous paraîtrait fort peu substantielle, — du riz, des légumes, du poisson et du porc, — il puisse supporter si vaillamment les fatigues d’une longue et chaude journée. En parcourant les plantations de thé et en visitant ces petits ateliers en plein air, M. Fortune fut frappé de l’apparence heureuse et saine de la population. Chacun avait le cœur au travail et semblait satisfait de sa condition ; partout éclataient les signes de l’aisance heureuse, du contentement et de l’harmonie la plus complète. Quel contraste avec l’aspect sale et dégradé que présentent les serfs de la glèbe dans la plupart des pays de l’Orient ! Il n’y avait là ni misère, ni oppression, ni haine de castes, ni sentimens aigris par l’inégalité de la fortune. La familiarité joyeuse et confiante régnait au milieu de tous ces groupes, où maître et serviteurs,