Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et même personne. Je n’ai connu pour véritables parens adoptifs que le signor Goffredi, antiquaire et professeur d’histoire ancienne à Pérouse, et son excellente femme Sofia Goffredi, que j’ai aimée comme une mère.

— Mais d’où et de qui ces braves Goffredi vous tenaient-ils en dépôt ? Ils ont dû vous le dire…

— Ils ne l’ont jamais su. Ils possédaient une petite fortune, et, n’ayant pas d’enfans, ils avaient plusieurs fois manifesté l’intention d’adopter un pauvre petit orphelin. Un soir de carnaval, un homme masqué se présenta devant eux et tira de dessous son manteau l’individu qui a l’honneur de vous parler, lequel ne se souvient pas le moins du monde de l’aventure et ne put rien expliquer, vu qu’il parlait une langue que personne ne pouvait comprendre.

— Mais, dit l’avocat, qui écoutait ce récit avec l’attention qu’il eût apportée à examiner une cause judiciaire, quelles paroles prononça l’homme masqué en vous présentant au professeur Goffredi et à sa femme ?

— Les voici telles qu’on me les a rapportées : « Je viens de loin, de très loin ! Je suis pauvre ; j’ai été forcé de dépenser en route une partie de l’argent qui m’avait été confié avec cet enfant. J’ai cru devoir le faire, ayant reçu l’ordre de le conduire loin, très loin de son pays et du mien. Voici le reste de la somme. J’ai appris que vous cherchiez un enfant, et je sais que vous le rendrez heureux et instruit. Voulez-vous prendre ce pauvre orphelin ? »

— Le professeur accepta ?

— Il accepta l’enfant et refusa l’argent. Si je cherche un enfant à élever, dit-il, c’est pour lui faire du bien et non pour qu’il m’en fasse.

— Et il n’eut pas la curiosité de s’informer…

— Il ne put s’informer que d’une chose, à savoir si personne ne viendrait lui réclamer l’enfant, parce qu’il le voulait bien à lui, et ne se souciait pas de s’y attacher pour se le voir enlever un jour ou l’autre. L’inconnu jura que jamais personne ne me réclamerait, et la preuve, dit-il, c’est que je l’ai amené de plus de cinq cents lieues d’ici, afin que toute trace de lui fût à jamais perdue. L’enfant, dit-il, courrait les plus grands dangers, même ici peut-être, si l’on pouvait savoir où il est. Ne me faites donc pas de questions, je ne vous répondrais pas. — Et il insista pour que l’on prît la petite somme, qui se montait à une valeur de deux ou trois cents sequins.

— En monnaie d’Italie ?

— En monnaie d’or étrangère, mais de différens pays, comme si l’inconnu eût traversé toute l’Europe et pris le soin de réaliser la somme avec toute sorte de pièces, afin de dérouter les recherches et suppositions.