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tasses de thé, etc… tout ce qui peut tenter des pèlerins pieux, affamas par une longue course et disposés à faire bonne chère en l’honneur de Bouddha. Après avoir traversé ce champ de foire, on entre dans l’intérieur du temple. C’est là que s’exécutent les dévotions. Les fidèles des deux sexes se pressent devant les autels ; mais M. Fortune remarque que les femmes sont en plus grand nombre, et que leur attitude est généralement plus édifiante. Chaque pèlerin s’approche à son tour, s’agenouille sur une espèce de coussin et fait ainsi coup sur coup plusieurs prostrations : il se relève, allume son cierge et son bâton d’encens, qu’il place devant l’idole, et revient encore se prosterner sur le coussin ; puis il se retire, et un autre lui succède. La majorité des fidèles se contente de cette cérémonie ; mais il en est qui entendent se mettre en relations plus intimes avec leurs divinités. Le colloque s’établit au moyen de deux morceaux de bois taillés de manière à présenter un côté plat et l’autre côté convexe. On les jette en l’air, et s’ils tombent tous deux sur le côté plat, c’est bon signe ; l’idole exauce la prière du pèlerin, qui se voit déjà comblé de toutes les félicités. Si au contraire le morceau de bois tombe sur le côté convexe (et il paraît que d’après les lois de la gravitation cette chute est plus fréquente), tout ira mal : la prière est rejetée. Dieux cruels ! on en est quitte pour recommencer l’exercice jusqu’à ce qu’enfin le côté plat l’emporte. Cette épreuve ne semble pas bien difficile ; mais quelle émotion pour une dévote chinoise qui suit d’un œil attentif et ardent les évolutions de son destin ! Il y a un autre mode d’interroger les dieux : on prend un vase de bambou rempli de bâtonnets sur lesquels sont inscrites différentes devises ; on l’agite avec précaution jusqu’à ce que l’un des bâtonnets tombe à terre : on porte alors la devise à un prêtre, qui consulte un gros livre où se trouve l’interprétation désirée. On ne dit pas autrement, dans nos pays civilisés, la bonne aventure.

Durant toutes ces cérémonies, l’intérieur du temple présentait un singulier aspect. Les cierges brûlaient par centaines devant les autels, des nuages d’encens remplissaient l’édifice ; de temps en temps, un prêtre allait frapper un coup vigoureux sur un large gong dont le son métallique se répercutait dans la vallée ; le bruit des cloches et du tam-tam complétait le concert. Quant à la foule, après avoir accompli très pieusement, au témoignage de M. Fortune, toutes ses dévotions, elle se répandait par groupes dans l’enceinte du temple : chaque famille s’asseyait en cercle ; on causait, on riait, on mangeait, on buvait le thé ou le sam-chou, et plus d’un pèlerin allumait tranquillement sa pipe au feu des cierges. Un Chinois n’y met pas plus de façons, même avec ses dieux, et il apporte à tout ce qu’il fait une simplicité et un sans-gêne vraiment