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La relation de ses premiers voyages fut accueillie, de l’autre côté du détroit, avec une certaine incrédulité. Les Anglais eurent quelque peine à s’imaginer qu’un simple botaniste, flânant dans un pays à la recherche de quelques plants de thé, pût rencontrer, chemin faisant, tant d’aventures, et des aventures aussi étranges. On lui passait volontiers ses caisses de fleurs, ses boutures et ses graines : comment ne pas admirer les spécimens de la flore asiatique étalant : pour la première fois ses vives couleurs sous le ciel gris d’Albion ? Mais en revanche les austères, critiques de Londres et d’Edimbourg traitaient assez légèrement ses impressions de voyage. On ne lui pardonnait pas ses descriptions, ses tableaux de mœurs dessinés d’après nature et sur des modèles jusqu’alors peu connus, ses révélations sur la vie intime des Chinois. Et comme on riait de ses victoires sur les pirates ! Voyez-vous ce délégué d’une société d’horticulture, ce savant, armé d’une boîte en fer-blanc pour ses herbes, d’un filet à papillons et d’une bouteille pour les insectes, le voyez-vous soutenant presque à lui seul un combat naval contre une division de pirates ! Hâblerie de voyageur, disait-on ; le public anglais n’est pas d’humeur à se laisser prendre à de pareils romans. — Voilà comment furent reçus les premiers écrits de M. Fortune. Le succès, qui les accueillit tint plutôt de la curiosité que de l’estime, et si l’on apprécia le spirituel talent du conteur, on contesta plus ou moins crûment la véracité du touriste. Cependant, quelque suspectes que soient, en général et pour cause, les relations portant le timbre ; des pays lointains, l’heure de la justice doit sonner tôt ou tard pour les voyageurs sincères qui ont su, en bridant leur imagination, échapper à la contagion de l’exemple. Aujourd’hui M. Fortune est complètement réhabilité et, à la suite de son troisième voyage (1853-1856), il a publié sous ce titre : A Résidence among the Chinese, un nouveau récit de ses promenades d’herboriste dans les campagnes du Céleste-Empire. C’est une agréable lecture, instructive et le plus souvent tout à fait neuve. Ne craignez pas d’y rencontrer une cent unième dissertation sur le chiffre de la population, ni le catalogue des cérémonies du. mariage, ni l’oraison funèbre des petits Chinois, rien enfin de ces thèmes rebattus qui forment encore aujourd’hui les chapitres à peu près obligatoires de tout ouvrage décent sur la Chine. Le botaniste vous fait même grâce de sa botanique : il en a mis à peine autant qu’il en faut pour le décorum : çà et là un mot latin se cache sous l’ombre discrète d’une parenthèse, attention délicate à l’adresse des doctes collègues du Muséum et des honorables membres de la Société d’horticulture. M. Fortune se laisse aller au courant de son humeur vagabonde ; il nous entraîne à travers champs, et c’est ainsi que, sans prétention didactique, sans préméditation