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nulle part une patrie, sans espoir de trouver plus tard, pour le jour du repos,

Il dolce nido del paterno tetto.

Je ne savais pas non plus quelle douleur suprême me réservait cette vie errante. Ce fut dans la Corse, où nous allâmes après avoir quitté la Toscane, que Séraphine ressentit pour la première fois les symptômes d’une cruelle maladie qui devait faire eu elle de rapides ravages. Que dirais-je de la France, des îles Baléares, qui reçurent successivement la pauvre mourante ? Ni le climat, ni mes soins, ni le désir de vivre ne purent triompher d’une maladie fatale. Je la vis mourir dans mes bras. Ce fut pour moi un second et plus douloureux exil. Les efforts et les fatigues qu’elle s’était volontairement imposés pour me rendre la liberté avaient été pour elle la cause d’une trop grande dépense de vie et l’avaient épuisée. Cette idée fera toujours mon supplice…

Après avoir promené quelque temps dans les diverses contrées de l’Europe ma tristesse et mon découragement, je profitai de l’amnistie prononcée par le successeur de Grégoire XVI, et je revins à Rome. J’avais hâte de revoir l’Italie ; les consolations que j’allais trouver dans ma famille, le mouvement qui se produisait alors en faveur de l’indépendance italienne, tout semblait me promettre une heureuse distraction à ma douleur. Je ne veux pas entrer dans les détails d’une lutte qui finit si tristement. Après les événemens de 1849, je fus obligé de m’expatrier de nouveau, et c’est au moment de m’embarquer pour l’Amérique, de commencer une vie nouvelle, que je jette ce dernier regard sur ma vie passée et sur des rivages que je ne reverrai sans doute jamais !…

Ici se termine, avec la mort de Séraphine, le côté romanesque d’une histoire qui appartient à la réalité, et qui emprunte aux sacrifices de cette jeune femme son principal élément d’intérêt. Pourtant il est permis de voir dans ce récit, à cause même de sa simplicité et du peu d’événemens qu’il met en lumière, plus d’un enseignement sur l’état et les occupations de la jeunesse romaine à une époque très rapprochée de nous. Ce manque d’énergie, ces incertitudes et ces vanités, ces imprudences inutiles, cette existence tout entière brisée pour une peccadille d’étudiant, ce n’est pas seulement la vie et le caractère d’un individu ; n’est-ce pas aussi le caractère et l’histoire d’un peuple ?…


F. BULOZ.