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inquiet de mon retard, mais le gardien ne s’en était pas aperçu. Je serrai la main de mon ami, qui se hâta de me quitter. La rencontre que j’avais faite du souverain pontife à une telle heure et dans un tel lieu était due au procès de l’abbé Dominique Abbo, procès qui s’instruisait au château Saint-Ange. L’interrogatoire du prévenu avait lieu la nuit, et c’est pour y assister secrètement que Grégoire XVI se rendait quelquefois du Vatican au château en passant par le corridor où je le rencontrai. Déclaré, coupable d’assassinat, Dominique Abbo fut condamné peu de jours après à la peine capitale et exécuté dans le château même.

Un dimanche, ma tante et Séraphine s’étaient rendues dans la chapelle de la forteresse. La plupart des employés et des détenus s’y trouvaient réunis. Au moment où, vers la fin de la messe, le célébrant se tournait vers les assistans pour les bénir, je quittai ma place, et, donnant la main à Séraphine, j’allai avec elle m’agenouiller devant le maître-autel. Là, à haute voix, je prononçai les paroles suivantes : « Monsieur le curé, celle-ci est ma femme. » Séraphine dit à son tour : « Monsieur le curé, celui-ci est mon mari. » Je me levai alors, et, me tournant vers le public, je repris : « Messieurs, soyez témoins de notre union légitimement et publiquement contractée. » Tout le monde a lu dans les Fiancés de Manzoni un projet de mariage semblable tenté par Renzo et Lucia, mais qui manqua par suite des frayeurs de don Abbondio. On croit peut-être que cette manière d’entendre le septième sacrement est une invention du romancier, et qu’en réalité ces unions par surprise ne sont guère tolérées en Italie. Qu’on se détrompe. À Rome surtout, où le contrat civil n’existe pas, où l’on soutient la doctrine probable (pour me servir de l’expression des casuistes) que dans le mariage ce sont les contractans eux-mêmes qui sont les seuls ministres, et que le curé ne doit intervenir que pour donner la bénédiction nuptiale ; à Rome, dis-je, les mariages clandestins sont assez communs : seulement les époux encourent l’excommunication latœ sententiœ, mais leur union n’en est pas moins légitime.

Une confusion inexprimable succéda à l’étonnement causé d’abord par notre conduite. L’officier de service furieux envoya sur-le-champ auprès de moi un gardien pour me surveiller et pour s’emparer de ma personne. Invitée à se rendre auprès du gouverneur, Séraphine tint courageusement tête à ses menaces et à ses reproches. L’attitude de la jeune femme qui donnait un si noble exemple de constance et de dévouement produisit une heureuse impression sur l’esprit de quelques hauts fonctionnaires du gouvernement. Le pape même s’en émut. Notre aventure du château Saint-Ange et les démarches de Séraphine commencèrent à se répandre dans le public. Toute la