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garantissaient un établissement convenable, tandis qu’en s’obstinant à partager mon sort, elle n’épouserait, au bout de quelques années, qu’un malheureux brisé par les souffrances et incapable de lui assurer le bonheur dont elle était digne. Séraphine m’envoya pour toute réponse une courte lettre dans laquelle, après d’amers reproches, elle disait qu’elle ne consentirait jamais à m’abandonner, et que, si je venais à lui manquer, elle se retirerait dans un couvent.

Le geôlier qui était spécialement chargé de notre surveillance se laissait facilement émouvoir par les doux sons de ce métal dont parle le Figaro de Rossini. Sa physionomie et son costume, d’une bouffonne originalité, ne s’effaceront jamais de ma mémoire. Petit, trapu, bossu, il se coiffait d’un béret en velours noir toujours sur le côté. Il portait une blouse à grandes raies verticales rouges et vertes. Son pantalon collant aboutissait aux tiges de ses bottes, dans lesquelles il s’engageait. Ce bizarre accoutrement n’était rien en comparaison de l’expression particulière de son visage, gravé de petite vérole. Sa bouche de requin, son nez à bec de perroquet, ses favoris noir-brigand, tout contribuait à lui donner une expression étrange, et certes, avec ses yeux de poisson cuit, sa physionomie d’éponge molle et son costume de valet de pique, il ressemblait plutôt à une caricature tracée par quelque peintre fantaisiste qu’à un être réel. C’est de cet homme qu’il s’agissait d’obtenir, moyennant finance, quelques heures de liberté par mois ou par semaine. Je savais qu’à ses risques et périls, mais à beaux deniers comptans, il avait accordé à un autre détenu la faveur que je réclamais. Je lui en fis donc la proposition. Repoussé d’abord, je finis peu à peu par me faire entendre. Je hasardai un chiffre, mais le rusé compère faisait la sourde oreille. Enfin, grâce à mes économies, aux sacrifices de ma famille et à la générosité de Séraphine, je pus amasser une somme assez ronde et traiter avec mon geôlier. Deux fois par mois, il me fut permis de sortir le soir du château par une porte dérobée, à la faveur d’un déguisement. Mon absence ne pouvait durer plus de quatre ou cinq heures, et je m’engageais sur parole à ne pas dépasser cette limite. Tout était convenu, lorsqu’au moment de la mise à exécution, Grégoire s’avisa de m’imposer une nouvelle et très onéreuse condition. Il voulut absolument un otage qui lui répondit de ma personne. Mon ami Giulio s’offrit généreusement, et la substitution eut lieu. Le geôlier, gorgé d’or et complètement rassuré, se montra de bonne composition pour tout le reste.

L’idée que j’allais jouir d’un peu de liberté me rendit le calme et presque la santé. Le mois de mai venait de commencer. Le soleil souriait à plein ciel. L’aubépine, la violette et le chèvrefeuille embaumaient