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yeux, d’être à l’avenir plus prudent. Je le lui promis, sans savoir si j’aurais la force de lui tenir parole. Contrairement à mes appréhensions, la justice ne me rechercha point. Une pareille conduite s’accordait parfaitement avec un système alors adopté, qui consistait à allonger la bride autant que possible aux jeunes gens qui se mêlaient de politique, afin que, enhardis par une impunité qui ressemblait à une certaine liberté, ils ne craignissent pas de se compromettre de plus en plus de manière à donner aux inquisiteurs la certitude de les frapper plus sûrement.

Cet incident, qui avait sa cause dans les susceptibilités de la censure romaine, m’engage à dire un mot de la surveillance exercée par le gouvernement clérical sur les productions de l’esprit. La liberté de la presse n’existe pas à Rome, on le sait, et si par malheur on a besoin de recourir à la publicité, il n’est sorte de vexations et de difficultés qu’il faille braver pour obtenir de l’autorité un malheureux imprimatur. Les ouvrages, même les plus inoffensifs, dont on permet d’ailleurs la circulation et l’impression dans les autres villes des États-Romains, sont impitoyablement refusés par la censure, si on demande à les faire paraître avec la date de Rome. Aussi n’est-il pas rare de voir des articles publiés avec approbation à Bologne, à Ferrare, à Ancône, à Ravenne, et qu’on veut ensuite reproduire à Rome, être encore assujettis à une nouvelle castration (c’est le mot employé), de telle sorte qu’on trouve dans le même gouvernement deux poids et deux mesures, une censure de la censure. La surveillance exercée sur le théâtre est encore plus sévère. L’impression même de la partie musicale est soumise à la censure, et pour faire jouer un simple libretto d’opéra, il faut subir trois contrôles, deux ensuite pour le faire imprimer, en tout cinq contrôles successifs. Malgré ces rigueurs, la circulation et le commerce des livres défendus se continuent à Rome sur une assez grande échelle. La police ferme les yeux sur les ouvrages importés du dehors, surtout lorsqu’ils sont écrits dans une langue étrangère. Il n’est pas rare de voir vendre aux enchères publiques, et toujours sous la surveillance du gouvernement, les ouvrages les plus antireligieux et les plus obscènes. Cette apparente contradiction s’explique ; le gouvernement ne pourrait empêcher qu’avec d’immenses difficultés l’introduction des livres étrangers. Quant à la censure, dont il se sert si bien à l’intérieur, elle ne se comprend pas moins : un livre publié dans la capitale du catholicisme, avec l’approbation du souverain ecclésiastique ou de son représentant, est à quelques égards une publication officielle. Or tout ce qui émane d’une institution qui a pour devise : « Hors de moi point de salut, hors de moi point de vérité, » doit être irréprochable.