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dit-il ; allons, cette montre de Mora ne va pas mal ! Voyez, ceci est de fabrique indigène. Nos Dalécarliens font de tout ; ils fabriquent eux-mêmes tous leurs ustensiles, depuis le plus élémentaire jusqu’au plus compliqué… Mais n’éteignez pas la bougie, elle nous sera commode pour fumer, et puis j’aime assez, en hiver, à voir la clarté solaire et la clarté artificielle des appartemens lutter ensemble dans un pêle-mêle de tons douteux et fantastiques… Tiens, la pendule sonne ! Vous l’avez donc remontée hier soir ?

— Certainement. Vous ne vous en étiez pas aperçu ?

— Je ne me suis aperçu de rien. Je dormais debout, ou je rêvais. J’ai peut-être rêvé même que j’entrais ici et que je soupais ! n’importe. Savez-vous faire le thé ?

— Non, mais le café dans la perfection.

— Eh bien ! faites-le, je me charge du thé.

— Vous aimez cette boisson fade et mélancolique ?

— Oui, en la coupant d’un bon tiers d’eau-de-vie ou de vieux rhum.

— Alors c’est différent. J’admire, monsieur le docteur, que nous soyons servis ici comme nous le serions à Paris ou à Londres.

— Eh bien ! pourquoi pas ? sommes-nous au bout du monde ? Nous n’avons que six heures de navigation pour être en Prusse, où l’on vit comme à Paris.

— Oui, mais au fond de cette province, à soixante ou quatre-vingts lieues dans les terres, et dans un pays si pauvre…

— Si pauvre ! vous croyez qu’un pays est pauvre parce qu’il est peu propre à la culture ? Vous oubliez que chez nous le dessous de la terre est plus riche que le dessus, et que les mines de la Dalécarlie sont le trésor de la Suède. Vous voyez que cette région, qui touche à la Norvège, est médiocrement peuplée, et vous en concluez qu’elle ne pouvait l’être davantage. Sachez que, si l’état savait et pouvait s’y mieux prendre, il y aurait dans nos richesses minérales de quoi centupler la prospérité et le nombre des habitans. Un jour peut-être tout ira mieux, si nous pouvons nous tirer des griffes de l’Angleterre, qui nous pressure de ses intrigues, et des tenailles de la Russie, qui nous paralyse avec ses menaces. En attendant, sachez, mon enfant, que, s’il y a des pauvres sur la terre, ce n’est pas la faute de cette généreuse terre du bon Dieu, tant calomniée par l’ignorance, l’apathie ou les fausses notions des hommes qui l’habitent. Ici on se plaint de la rigueur de l’hiver et de la dureté du rocher ; mais le cœur de la terre est chaud ! qu’on y descende, et l’on trouvera partout, oui, partout, j’en réponds, le précieux métal qui se ramifie sous nos pieds en veines innombrables. Avec nos métaux, nous pourrions acheter toutes les recherches, tout le luxe, toutes les produc-