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avec lequel on se repoussait réciproquement pour approcher de la petite chapelle, tant on était désireux de se mettre en évidence, comme s’il se fût agi de faire la cour à un souverain de la terre. Enfin, ayant réussi à me procurer une chaise sur laquelle je montai, de ce poste élevé je pus dominer cette multitude fanatique et librement observer ce qui se passait. Je vis autour de la chapelle un cercle épais et turbulent de boiteux, d’aveugles et d’épileptiques, enfin de malades de toute espèce et de toute condition sociale. Il y avait aussi des enfans et des jeunes filles qui, en criant et en pleurant, demandaient, à grand renfort de gestes et de contorsions, je ne sais quelle grâce. Au milieu de cette cohue, une femme d’une taille athlétique, parfaitement valide, mais tout échevelée, était perchée sur une espèce d’escabeau qui lui servait de trépied. Ainsi placée au-dessus de la foule et lui servant d’interprète et de prêtresse, elle s’écriait de temps en temps, d’une voix rauque et stridente qui sortait d’une bouche affreusement édentée : Maria santissima, voyliamo la grazia ! si vogliamo la grazia ! Viva Maria ! viva Maria ! Et la multitude en délire lui répondait par le cri mille fois répété de : Vive Marie !

De chaque côté de l’autel improvisé avaient été placées deux tables. Sur l’une étaient déposés les ex-voto offerts à la madone, sur l’autre une grande quantité de béquilles et d’instrumens orthopédiques qui avaient appartenu, disait-on, aux personnes miraculeusement guéries. Près d’une autre table se tenait un pénitent avec un registre ouvert pour recevoir les offrandes en argent et pour consigner les noms et qualités des individus qui prétendaient avoir été l’objet d’un miracle. Pour compléter le nombre de ces honorables et pieux fonctionnaires, une vingtaine de jeunes gens aux figures sinistres, portant une boîte de fer-blanc à la main, se faufilaient partout, quêtant pour la madone, rançonnant les crédules, se moquant des graciés. Des voleurs de profession de toute espèce se livraient de leur côté sans péril à leur petite industrie. Un groupe se forma autour d’une jeune fille assise sur une borne. Je m’approchai. « Voyez, me dit-on : c’est une femme qui vient de recevoir la grâce. » M’adressant alors à la graciée, je lui demandai si en effet elle venait d’être l’objet d’une faveur céleste, « Hélas ! oui, monsieur, me répondit-elle d’un ton moitié burlesque, moitié triste. — Mais de quelle maladie étiez-vous atteinte ? — Je boitais et j’avais le côté gauche paralysé. — Et maintenant ? — Maintenant je suis guérie, quoique j’aie toujours le pied gauche légèrement engourdi. » Je l’attendis à l’épreuve, mais je m’aperçus qu’elle hésitait à se mettre en marche ; elle remarqua même mon obstination à ne pas la perdre de vue. Enfin de guerre lasse elle se leva, fit un effort héroïque et commença