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Parmi mes amis, il en était un pour lequel j’éprouvais une sympathie particulière. Il se nommait Raphaël. C’était un esprit froid et profond, d’une simplicité spirituelle ; il était doué d’une merveilleuse aptitude pour les études positives. Une certaine communauté de bonnes et de mauvaises qualités nous avait attirés l’un vers l’autre. Un autre ami, Giulio, dont j’ai déjà parlé, était avec Raphaël le compagnon inséparable de tous mes plaisirs, le confident obligé de toutes mes pensées. Giulio différait complètement de Raphaël, il était poète et un peu rêveur ; il était aussi plus aimant, plus expansif, plus sensible qu’aucun de nous. C’est entre ces deux amis que j’ai passé les heures les plus agréables et les mieux remplies de ma jeunesse. Une fois ou deux par semaine, nous nous réunissions pour lire en commun les nouveautés littéraires qu’on ne pouvait faire venir à Rome qu’à grands frais, et en courant de sérieux dangers. C’est ainsi que nous lûmes les œuvres de Gioberti, l’Arnaldo da Brescia de Niccolini, les derniers écrits de Lamennais. Giulio a joué un rôle important sous la dernière république romaine. Raphaël est aujourd’hui l’un des plus célèbres avocats du barreau romain.

À l’époque où nous reportent ces souvenirs, on parlait partout à Rome des miracles opérés à l’arc des Cenci, et l’on s’exprimait à ce sujet d’un côté avec beaucoup de réserve et d’hypocrisie, de l’autre avec beaucoup de franchise et de liberté. Je commis l’imprudence au café Novo et à la Saptenza de donner mon avis d’une façon tout ironique. Mes propos, recueillis par des espions, provoquèrent sur ma conduite et sur mes opinions une enquête mystérieuse, à la suite de laquelle eut lieu la visite domiciliaire opérée par Nardoni. Ces miracles, source de tant d’émotions, n’avaient cependant qu’une cause fort ordinaire en Italie.

Le jour de la Saint-Pierre, le bruit se répandit dans Rome que l’image d’une madone placée dans une niche, près de la place des Juifs et précisément dans la petite rue de l’arc des Cenci, opérait des miracles et y attirait une grande affluence. Un maçon, qui s’y était transporté sur des béquilles, avait entendu une voix mystérieuse qui lui avait dit : Jette-les ! et tout à coup il s’était redressé, et il avait pu marcher sans difficulté. Un aveugle avait subitement recouvré la vue, et la foule l’avait reconduit processionnellement dans sa maison au bruit des cantiques et à la lueur de mille cierges. Rome entière accourut alors pour adorer la madone. On commença par décorer la niche et le tableau de la Vierge en l’entourant à profusion de fleurs, de vases et de bougies. Vers le quatrième jour, j’y fus moi-même conduit par la curiosité, il me fut d’abord impossible de rien voir, tant la foule était compacte, tant était vif l’empressement