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prêtre, ce prêtre irrité éclate enfin, et c’est dans le drame des Esclaves qu’il jette l’anathème à son peuple. Il rêvait une démocratie spiritualiste et purifiée comme un temple ; le matérialisme, avait tout déshonoré : comment un cri de douleur et d’indignation ne serait-il pas sorti de ses lèvres ? Voilà le sens de ce Spartacus trahi par ses compagnons. Cette œuvre, qui a passé presque inaperçue, contient des beautés du premier ordre. La dégradation de l’âme par la servitude y est peinte en traits brûlans, et il n’est pas impossible que M. Frédéric Halm se soit inspiré du Gallus de M. Quinet pour peindre le gladiateur de Ravenne. Le rôle de Cynthie, si noble, si poétique, a pu fournir aussi quelques traits à la Thusnelda de l’écrivain allemand.

C’est ainsi que M. Edgar Quinet avait renoué la chaîne de ses meilleures inspirations. Lorsque, dans son étude sur Marnix de Sainte-Aldegonde, il montrait quelles vertus, quelles convictions fortes avaient fondé la république des Provinces-Unies ; lorsqu’il recueillait avec tant de piété les traditions des Roumains et provoquait la résurrection d’une noble race ; lorsque, dans la Philosophie de l’Histoire de France, il réfutait les théories fatalistes qui condamnent la terre des Gaules à une interminable tutelle sous une série de dictatures ; enfin lorsqu’il mettait si vivement en scène l’enthousiasme libéral et spiritualiste d’un petit nombre d’âmes et la lâcheté de la multitude, il recommençait cette belle période où ses travaux de philosophe et de poète se développaient harmonieusement. Heureux retour aux choses de la pensée pure ! L’artiste reprenait possession de ses domaines. Une seule fois (pourquoi suis-je obligé d’en parler !) les influences funestes l’ont vaincu ; il a voulu redevenir homme d’action. Imagination ardente, cœur généreux, M. Quinet a reçu la mission de reproduire en tableaux épiques la vie morale du XIXe siècle ; il est fait pour chanter et philosopher sans conclure. Or il a voulu conclure[1], et cette conclusion est un démenti aux travaux de sa vie entière ; il a voulu formuler sa suprême pensée, et il s’est calomnié lui-même dans cette formule. Quoi ! l’auteur de la réfutation du docteur Strauss ne voit d’autre moyen de salut pour la liberté que l’extirpation du christianisme ! Ce sont là les cris du délire ; encore une fois, rappelons simplement à M. Quinet le principe qu’il proclamait naguère : quelle loi plus haute avez-vous découverte ? Qu’avez-vous trouvé depuis le jour où vous vous adressiez en ces termes, non pas même au christianisme, mais à Rome : « Tu es pour moi t’éternelle madone assise sur tes

  1. Voyez la préface ajoutée aux Œuvres complètes de Marnix de Sainte-Aldegonde sous ce titre : la Révolution religieuse au dix-neuvième siècle.