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son jour. Son explication de la nécessité du merveilleux, la loi qu’il fait au poète de placer son œuvre au sein de l’intelligence divine, ce sont là des traits de lumière qui renouvellent la philosophie de l’art ; ce que j’aime surtout à signaler dans ces pages éloquentes, c’est la haute inspiration morale de l’écrivain. L’esthétique allemande, substituant l’humanité à l’homme, faisait disparaître le poète pour le remplacer par un peuple ; M. Quinet protesta victorieusement. Il fallait sans doute (et qui l’a dit mieux que lui ?), il fallait le concours de tous les sentimens, de toutes les croyances d’un siècle pour que l’épopée fût possible ; plus nécessaire encore était l’action décisive d’un génie inspiré. De même qu’il défend la personnalité de Jésus contre le docteur Strauss, il défend Homère contre Wolf. Toute cette discussion est très belle, vraiment digne d’un philosophe et d’un poète. L’auteur d’Ahasvérus voulait renverser les faux systèmes qui, mettant les forces abstraites à la place de l’homme, abolissaient partout la vie dans l’histoire et dans l’art.

Cette rectification des théories allemandes se conciliait parfaitement chez M. Edgar Quinet avec l’indépendance fougueuse qui est le fond de son esprit. Passionné pour l’épopée primitive, il maltraitait l’épopée des âges cultivés, celle-là même que sanctifie, pour ainsi dire, le génie d’un Virgile. Ces strophes amères, qui terminent l’étude sur l’épopée latine, expriment au vif le tour d’imagination de M. Edgar Quinet. La liberté de la poésie grecque ravit son âme, le méthodique esprit de Rome l’irrite, et il lui lance une ardente invective. On sait avec quelle grâce la muse latine fut défendue ; M. Sainte-Beuve s’était chargé du plaidoyer dans une épître à M. Patin. Que M. Sainte-Beuve ait raison, je le crois sans peine ; je regretterais cependant que M. Quinet n’eût pas écrit ces strophes : elles peignent bien l’ardent poète, et surtout, en cette période de sa vie, elles nous montrent quel sentiment de la liberté individuelle avait succédé à ses premières inspirations panthéistiques. Ce sentiment éclate partout dans ses œuvres de cette époque, dans ses travaux sur l’épopée française, sur l’épopée allemande, sur l’unité des littératures modernes, dans son voyage à Venise, à Florence, à Rome, à Naples, dans ses recherches d’histoire contemporaine, le Champ de bataille d’Aréole, le Champ de bataille de Waterloo, bref dans toutes ces fortes études d’histoire, de philosophie, de littérature, de politique, réunies par lui sous le titre d’Allemagne et Italie.

Ce livre marque une belle date dans la vie de M. Quinet. C’était en 1839. L’ardent poète s’était dégagé de ses entraves ; sa pensée était plus nette, son style plus rapide, il était maître de son inspiration. Ecrivain éloquent, libéral, spiritualiste, religieux, il pouvait servir de modèle et de guide aux âmes travaillées, comme il l’était