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de M. Edgar Quinet à Heidelberg. On voit par le témoignage du grand philosophe quel était le zèle du disciple et quelle confiance il inspirait à son maître. Au milieu de ces paisibles études d’université, au milieu de ces savantes mutations le long des rives du Neckar et sous le balcon, des électeurs, tout à coup des bruits de guerre retentissent ; la France va conquérir en Morée l’indépendance de la Grèce, et une commission de jeunes savans y accompagnera nos soldats. Le disciple de Creuzer n’était pas tellement épris de l’Allemagne qu’il n’éprouvât maintes fois le désir d’une existence plus active. Le monde entier l’attirait. Voyageur dans le domaine des idées, son rêve eût été de refaire, un bâton à la main, le long voyage de l’humanité, d’Orient en Grèce et de Grèce en Occident. Quelle occasion que cette guerre de Morée ! Une commission de l’Institut était chargée de désigner les membres de expédition scientifique : Creuzer, associé étranger de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, réclama de ses collègues une place pour son élève, et peu de jours après M. Quinet reçut une lettre de la main même de M. de Martignac, qui lui annonçait officiellement sa nomination[1].

  1. Voici la note que je trouve dans les Mémoires de Creuzer ; « Parmi mes auditeurs se trouvait alors M. Edgar Quinet dont j’ai déjà parlé, et qui est connu de tout le monde aujourd’hui comme écrivain et comme professeur. Dans son enthousiasme pour la Grèce, il me pria de le proposer à mes amis de l’Académie pour une des places à donner dans l’expédition scientifique. Je le fis, et j’eus le bonheur de réussir, comme l’atteste la lettre suivante de M. Hase :
    « Paris, 10 décembre 1828.
    « Eπεα πτεοετα, très honoré monsieur et ami, je laisse tout de côté pour vous apprendre sans retard que la commission de l’Institut chargée de désigner les savans et artistes destinés à aller en Morée, et qui se compose de MM. Cuvier et Geoffroy, Saint-Hilaire pour l’Académie des Sciences, de M. Rochette et de moi pour l’Académie de Inscriptions, de MM. Huyot et Percier pour l’Académie des Beaux-Arts, dans sa séance d’hier soir, mardi ; sur la proposition de M. Rochette et la mienne, a désigné à l’unanimité M. Edgar Quinet pour le philologue associé à cette mission scientifique. J’ai devant moi la lettre que nous adressons tous les six à M. le ministre de l’intérieur ; je viens d’y intercaler cette phrase : « Et surtout M. Quinet, jeune savant français, qui a perfectionné à l’école du professeur Creuzer à Heidelberg des talens et des connaissances dont il trouvera sans doute en Morée les moyens de faire l’application la plus utile… » Communiquez je vous prie, cette nouvelle à votre jeune ami. Il recevra sa nomination officielle dans quelques jours… » L’illustre professeur de Heidelberg est tout heureux de ce succès ; il raconte ensuite ses rapports avec l’Académie des Inscriptions au sujet de l’expédition scientifique de Morée, il mentionne les questions géographiques et archéologiques adressées par lui aux voyageurs sur la demande expresse de l’Institut, puis il ajoute : « Du 5 février au 24 avril 1829 ; j’ai reçu de M. Quinet une série de lettres datées de Toulon, de Modon, de Mavromati, d’Égine, et si je n’en dis rien ici, c’est que M. Quinet lui-même, dans son livre sur la Grèce, a raconté en détail tous les événemens de son voyage. Je possède aussi un recueil d’inscriptions manuscrites qu’il a copiées pour moi en Grèce, et quelques médailles antiques dont il m’a fait présent. »