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l’embarrasse ou le gêne. En vain l’Orient, qui s’endort sur la foi de ses symboles, croit-il l’avoir enchaîné de tant de mystérieuses entraves ; sur le rivage opposé s’élève un peuple enfant qui se fera un jouet de ses énigmes et l’étouffera à son réveil. En vain la personnalité romaine a-t-elle tout absorbé pour tout dévorer ; au milieu du silence de l’empire, est-ce une illusion décevante, un leurre poétique, que ce bruit sorti des forêts du Nord, et qui n’est ni le frémissement des feuilles, ni le cri de l’aigle, ni le mugissement des bêtes sauvages ? Ainsi, captif dans les bornes du monde, l’infini s’agite pour en sortir, et l’humanité, qui l’a recueilli, saisie comme d’un vertige, s’en va, en présence de l’univers muet, cheminant de ruines en ruines sans trouver où s’arrêter. C’est un voyageur pressé, plein d’ennui, loin de ses foyers ; parti de l’Inde avant le jour, à peine s’est-il reposé dans l’enceinte de Babylone qu’il brise Babylone, et, restant sans abri, il s’enfuit chez les Perses, chez les Mèdes, dans la terre d’Égypte. Un siècle, une heure, et il brise Palmyre, Ecbatane et Memphis, et, toujours renversant l’enceinte qui l’a recueilli, il quitte les Lydiens pour les Hellènes, les Hellènes pour les Étrusques, les Étrusques pour les Romains, les Romains pour les Gètes, les Gètes… Mais que sais-je ce qui va suivre ? Quelle aveugle précipitation ! Qui le presse ? Comment ne craint-il pas de défaillir avant l’arrivée ? Ah ! si dans l’antique épopée nous suivons de mers en mers les destinées errantes d’Ulysse jusqu’à son île chérie, qui nous dira quand finiront les aventures de cet étrange voyageur, et quand il verra de loin fumer les toits de son Ithaque ? »


Nobles paroles, fier sentiment de la liberté morale de l’homme auquel s’associe vers la fin une mélancolie toute virile ! Lorsque Chateaubriand écrivait la préface de ses Études historiques, frappé de cette page, il la détacha tout entière, et dans cette préface étincelante de noms glorieux et de citations éloquentes, la page d’Edgar Quinet brille comme un diamant. Pour moi, ce n’est pas seulement le philosophe et l’orateur que j’admire ici, c’est le poète. Je sens que les aventures de l’étrange voyageur se combinent déjà dans une imagination puissante. Ahasvérus, Napoléon, Prométhée, m’apparaissent de loin dans cette première vision.

Ce n’était pas assez pour M. Edgar Quinet d’avoir pénétré en Allemagne par les livres, il voulut visiter ses maîtres. L’université de Heidelberg était alors dans l’éclat de ses meilleurs jours. C’est là qu’il s’établit. Avec quelle ardeur il interrogeait les gardiens des mystères de la science ! Tout poète qu’il était, les plus austères travaux ne l’effrayaient pas. Il étudiait la philologie, il commentait Homère, et Frédéric Creuzer l’initiait au symbolisme religieux du monde antique. L’illustre Creuzer, que l’Allemagne vient de perdre, nous a laissé avant de mourir de curieux mémoires sur sa vie. Or ces Notes d’un Vieux Professeur (c’est le titre même de l’ouvrage dont je parle) contiennent d’intéressans détails sur le premier séjour