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rapports avec sa propre pensée, celui qui enchantait Goethe pendant son voyage d’Italie comme l’évangile de la patrie allemande, les Idées sur la Philosophie de l’histoire de l’Humanité.

Traduire un tel livre n’était pas chose facile. M. Quinet y consacra toutes ses forces pendant plusieurs années. Une œuvre longue, laborieuse, qui aurait pu décourager les plumes les plus patientes, devint une source de joies pour cette âme enthousiaste. « Pour moi, s’écrie-t-il, je puis dire que,depuis l’âge où l’on commence à être ému par le génie et à souffrir par son cœur et par celui des, autres, ce livre a été pour moi une source de consolations et de joies… Jamais, non jamais, il ne m’est arrivé de le quitter sans avoir une idée plus élevée de la mission de l’homme sur la terre, jamais sans croire plus profondément au règne de la justice et de la raison, jamais sans me sentir plus dévoué à la liberté à mon pays, et en tout plus capable d’une bonne action. » Ce sentiment d’amour si vivement exprimé ici, cet enthousiasme de la vertu, respirent dans toutes les pages de cette traduction et leur communiquent une beauté originale. On n’y sent nulle part l’effort et la fatigue ; c’est la langue souple et forte d’une œuvre librement inspirée. Un pareil travail suffisait pour révéler un écrivain. Quant à l’introduction, elle est plus remarquable encore. Ce premier écrit de M. Quinet, ce premier élan de son âme ardente, contient déjà toutes les inspirations du poète. N’y cherchez pas un système, des principes logiquement enchaînés ; mais que de richesses confuses dans ces pages éloquentes ! Deux inspirations surtout y éclatent, le sentiment de la communauté humaine et le sentiment de la liberté de l’individu. J’appelle sentiment de la communauté humaine ce besoin qu’éprouve une âme d’élite non-seulement de prendre une part active à la vie de son siècle, mais de s’unir aussi aux siècles évanouis, aux nations disparues, à toutes les influences mystérieuses qui ont préparé notre existence actuelle, et de retrouver, pour ainsi dire, dans le fond le plus lointain des âges la primitive substance de notre être. Ce respect filial de l’humanité, nul ne l’a ressenti plus pieusement que Herder ; c’est là l’originalité de son génie. M. Quinet à son tour a recueilli ce sentiment dans le livre des Idées, et il.faut croire qu’il en avait le germe en lui-même, puisque du premier coup il a égalé son maître en interprétant ses doctrines. On s’aperçoit bien vite que ce n’est pas ici un commentateur qui explique un texte ; mais un cœur ému qui tressaille. Il vit si intimement, comme Herder, au milieu des générations évanouies, il les sent si bien s’agiter et revivre en sa conscience, qu’il a peur un instant de voir sa personnalité disparaître. Écoutez ces confidences du rêveur : « A mesure que se développait cette longue suite d’aventures, je recueillais