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III

Et d’abord, dans votre nouvel empire byzantin, que ferez-vous des populations musulmanes ? Vous ne voulez pas que les chrétiens soient plus longtemps gouvernés en Orient par les musulmans, et vous avez bien raison : l’état des choses y répugne chaque jour davantage ; mais vous renversez la question à votre profit en soumettant dans l’empire byzantin les musulmans aux chrétiens. — M. Pitzipios répond que « de nombreux exemples prouvent que les mahométans peuvent vivre libres et heureux sous un gouvernement chrétien, tandis que, dans les pays dominés par les mahométans, les chrétiens ne peuvent que traîner une misérable existence ; car le système intolérant (le mahométisme) ne peut considérer tous ceux qui ne veulent pas l’embrasser que comme des êtres exclus du droit des gens et indignes de toute protection, de toute sympathie, de toute miséricorde. De nos jours même, les mahométans de l’Algérie, de la Crimée, de la Géorgie, des Indes et de tant d’autres pays vivent très heureux sous les gouvernemens chrétiens de la France, de la Russie et de l’Angleterre ; mais quel est le peuple chrétien qui a jamais pu exister qu’en vil esclave sous la domination mahométane[1] ? » Cette réponse lève-t-elle tous les doutes et détruit-elle toutes les objections ? Oui, — accompagnée de quelques explications. Il y a eu des temps, je l’avoue, où les chrétiens ne gouvernaient pas bien les mahométans ou les idolâtres, où ils étaient plutôt disposés à les exterminer qu’à les convertir ; il y a eu des temps aussi où les mahométans gouvernaient passablement les chrétiens. La capacité de bien gouverner ne tient donc pas uniquement à la foi ; elle tient à des qualités plus séculières, aux qualités qui sont nécessaires dans tous les gouvernemens, à l’activité, à l’esprit d’ordre et de justice, à la tolérance, à la modération ; elle tient aux bonnes maximes politiques, aux bonnes règles d’administration, toutes choses que l’Europe civilisée connaît et pratique, toutes choses que l’Asie musulmane ignore et méprise aujourd’hui.

On s’imagine que par la grâce du hatti-humayoun il y a quelque chose à Constantinople qui ressemble à un gouvernement et à une administration européenne : c’est une grande erreur. M. Mathieu, dans son ouvrage, nous dit qu’en Turquie l’idée de ce que nous appelons en Europe l’état, c’est-à-dire l’intérêt commun, n’existe pas. Les détails que M. Pitzipios donne sur l’administration turque s’accordent complètement avec l’opinion de M. Mathieu.

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