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par les mains de la Turquie. Quand elle a vu que la régénération de l’Orient se faisait sans la Turquie, à côté d’elle et malgré elle, il a bien fallu qu’elle tînt compte de cette régénération inespérée.

« Eh ! ne comprenez-vous pas, dit-on, que tout ce que vous faites ou tout ce que vous laissez faire contre la Turquie profite à la Russie ? » Je reconnais là le vieux dilemme dans lequel l’Europe s’est crue enfermée pendant longtemps, quand on lui disait qu’il n’y avait à choisir en Orient qu’entre la Turquie et la Russie. Qui de nous, écrivains ou orateurs, n’a gémi de ce dilemme ? Dans quel étau il enfermait nos pensées et nos sentimens ! « Vous ne voulez pas de la Turquie, nous disait-on, parce qu’elle opprime les chrétiens d’Orient ? Eh bien ! vous aurez la Russie à Constantinople. — Vous ne voulez pas de la Russie à Constantinople, parce que l’équilibre européen serait détruit par cette conquête ? Eh bien ! gardez la Turquie. » De telle sorte que sous cette tenaille de la logique il fallait sacrifier la civilisation chrétienne en Orient au maintien de l’équilibre européen, ou sacrifier l’équilibre européen à la régénération de la civilisation chrétienne.

Pendant que les publicistes se débattaient dans les liens de ce cruel dilemme, qui fait encore le fond de la politique de beaucoup de gens, la force des choses et la marche des événemens s’employaient à résoudre le problème d’une manière tout à fait imprévue, en ouvrant à la politique une voie nouvelle.

Via prima salutis,
Quod minime reris, graiâ pandetur ab urbe.


L’insurrection de la Grèce a bien fait d’être glorieuse et héroïque : c’est par là qu’elle a plu, c’est par là qu’elle a réussi, et que l’opinion publique a triomphé en Europe des répugnances de la diplomatie ; mais cette insurrection, outre qu’elle a été une poésie nouvelle, a été aussi une politique nouvelle. Elle nous a montré un Orient que nous ne connaissions pas, un Orient qui n’était ni turc ni russe. Non que je veuille ici flatter la vanité de la Grèce moderne et prédire aux Grecs l’empire de l’Orient : je ne sais pas quelle est la destinée d’Athènes, et si elle doit aller quelque jour s’agrandir et se dénaturer à Byzance :

Fata viam invenient ;


mais ce que je sais, c’est qu’après l’insurrection et la reconnaissance de la Grèce, la cause des populations orientales est devenue un des élémens de la question d’Orient. La France est entrée dans cette voie nouvelle. La restauration avait proclamé, par l’expédition de Morée, l’indépendance de la Grèce. La monarchie de 1830,