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à l’immobilité du malheur. Grâce à Dieu, cette immobilité n’est plus possible : quoi de plus sensé alors et de plus généreux à la fois que de pousser vers le bien plutôt que vers le mal le mouvement des populations orientales ? Telle est depuis près de cinquante ans la politique de la France.

Je sais bien qu’il y a des personnes que cette politique contrarie et qui la trouvent remuante et périlleuse. J’ai connu un ambassadeur français, homme de beaucoup d’esprit, qui trouvait toujours mauvaise la politique qui lui créait des difficultés et des affaires dans la cour près de laquelle il était accrédité, et cela de la meilleure foi du monde. Je ne suis donc pas étonné que M. Hommaire de Hell trouve mauvaise la politique française, qui, à Constantinople, créait des difficultés et des embarras à nos agens, à nos nationaux, à nos voyageurs. Pourquoi s’intéresser à l’Égypte, à la Grèce, aux principautés du Danube, à la régence de Tunis ? Intéressez-vous à la Turquie, attachez-vous à elle ! — Oui, si la Turquie peut accomplir cette régénération de l’Orient nécessaire à son indépendance ; mais si elle ne le peut pas, si le semblant qu’elle en fait à Constantinople ne peut tromper que des yeux disposés à s’ouvrir à demi pour mieux goûter le repos, pourquoi voulez-vous que la France étouffe les germes de civilisation qui se montrent en Orient chez les chrétiens ? La France sait bien qu’il est de son intérêt d’étendre son influence en Orient, comme le lui conseille M. de Hell ; seulement elle ne croit plus que l’Orient soit la Turquie. Il y a maintenant deux Orients, l’un qui est en train de mourir et l’autre qui est en train de naître. Pourquoi vouloir que la France s’attache à l’Orient mourant et repousse l’Orient naissant, ce qui serait à la fois une dureté et une imprudence ? Niera-t-on qu’il y ait en ce moment deux Orients ? Ce serait nier l’évidence, car de quoi s’occupe l’Europe depuis dix ans, depuis cinq surtout ? De la Grèce, de l’Égypte, des principautés danubiennes, de l’Albanie, du Monténégro. Qui donc autrefois en Europe, sinon Venise et les chevaliers de Malte, s’occupait de ces pays ? Le double Orient, c’est-à-dire l’Orient musulman et l’Orient chrétien, se montre à tous les yeux : pourquoi les fermer ? Prenez garde ; si vous les tenez obstinément fermés, il arrivera que le jour où vous les rouvrirez, un de ces deux Orients et peut-être tous les deux, seront devenus russes, autrichiens, anglais : l’équilibre du monde aura changé contre vous pendant votre sommeil.

Que les hommes graves et secs se rassurent : la France n’a mis dans sa politique orientale ni fantaisie, ni pitié sentimentale, ni sympathie révolutionnaire, aucun des sentimens dont on la croit volontiers capable. Elle a pris sa politique des mains de la nécessité. Elle eût volontiers accueilli la régénération de l’Orient faite