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gloire, leur consolation, est en même temps leur abîme, leur désespoir, leurs gémonies. Il leur faut supporter toute la responsabilité des vérités qu’ils démontrent, soit que la mauvaise logique de la foule en exagère l’application, soit que sa mobilité, en donnant raison à des faits opposés, aille jusqu’à les transformer en erreurs publiques, j’allais dire en crimes. Encore est-ce quelque chose que de tomber de haut et devant tous ; mais les alternatives secrètes de découragement et d’espoir, les luttes intérieures et quotidiennes, n’est-ce pas le rocher de Sisyphe, remonté sans cesse, sans cesse retombant ? Où trouver des compensations ? Il faut se réfugier dans la seule conscience de ses droits, dans la tâche qui reste à remplir, dans les dangers même qui l’entourent. Et certes il faut avant tout s’armer de courage et de foi, car si, au milieu de la carrière, on vient à jeter un regard derrière soi, je ne sais si la satisfaction du devoir accompli, si intime qu’elle puisse être, n’est pas surpassée par la profondeur d’un inévitable découragement.

Ces réflexions nous sont inspirées par la préface dont M. de Sacy a fait précéder deux volumes d’articles qu’il vient de réunir et de publier[1]. M. de Sacy, qui n’a jamais voulu être autre chose « qu’un journaliste, » à qui cette seule qualité a ouvert les portes de l’Académie française, est l’un des plus anciens rédacteurs d’une feuille quotidienne dont l’honneur est d’avoir toujours conservé dans la même mesure ses traditions politiques et littéraires. Depuis 1828, époque où il entra au Journal des Débats, sous le ministère de M. de Martignac, M. de Sacy est resté sur la brèche, et, en compagnie d’hommes éminens, il a continué de combattre pour des convictions qu’il est doublement honorable de partager à une époque où il est si facile de compter le petit nombre d’organes périodiques qui n’ont pas dévié de leur voie. Le libre examen, le régime constitutionnel et parlementaire sont demeurés pour ceux-là les conditions idéales et les ressorts nécessaires de tout gouvernement. Ce n’est pas, nous pouvons le dire, sans d’amères déceptions, sans de cruelles tristesses, qu’il est possible de persévérer dans un rôle dont le moindre inconvénient est de provoquer le dédaigneux sourire des adorateurs du succès. En retraçant en quelques pages sa carrière de publiciste, M. de Sacy remarque particulièrement que la révolution de 1830, nécessaire cependant, amena dans son esprit de profondes défiances. Depuis lors, ce qu’il combattit surtout, ce fut l’esprit révolutionnaire. Ce mot n’est peut-être pas très juste, ou du moins contient-il une ellipse qui devrait être interprétée. Il faut comprendre que M. de Sacy a combattu l’esprit despotique appliqué à la révolution et non pas les tendances rénovatrices, indispensables à tout progrès, dont il a été lui-même le champion à certains jours. Oui, ce qu’il a combattu, ce n’est certainement pas la base de ses convictions et des nôtres, ce n’est pas l’esprit de Voltaire, de Mirabeau, encore moins celui qui présida aux journées de 1830 : c’est l’esprit d’autorité absolue et aveugle, de quelque part qu’il vienne, aussi terrible et aussi aveugle lorsqu’il s’appuie sur la multitude que lorsqu’il n’a pour raison d’être que le caprice d’un seul.

Depuis quelques années, M. de Sacy s’est retiré forcément de la discussion

  1. 2 vol. in-8o, Didier.