Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/967

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cardwell, participe au désarroi où cette fausse manœuvre a laissé les amis de lord Palmerston. On sait que le Times a dû sa puissance à la sagacité et à la souplesse avec laquelle il a su jusqu’à ces derniers temps s’adapter aux mouvemens de l’opinion. La raison de son immense crédit, c’est qu’il était le journal de l’opinion générale, le journal du public, et non le journal d’un parti. Le Times semble avoir dérogé dans ces derniers temps à cette indépendance absolue qui a été le secret de sa fortune. Il avait, par ses rédacteurs, contracté des liens étroits avec le ministère de lord Palmerston. On assure qu’un de ses collaborateurs les plus assidus et les plus puissans dans la polémique est M. Lowe ; or M. Lowe n’emprisonne point ses remarquables talens dans la sphère de la presse anonyme, il est membre de la chambre des communes, et lord Palmerston l’avait attaché à son gouvernement en le nommant vice-président du bureau du commerce. M. Lowe, malgré ses fonctions officielles, n’avait point abandonné la rédaction quotidienne du Times. C’est en grande partie à cette liaison intime du Times avec l’ancien ministère Palmerston que l’on a attribué la véhémence avec laquelle ce journal a attaqué, à propos des affaires de l’Inde et de la motion Cardwell, le cabinet de lord Derby. Le public a pu s’apercevoir que, dans cette circonstance, le Times manquait à son rôle naturel, et devenait le journal d’un parti. Les intéressés, les hommes politiques qui étaient en butte aux violens assauts du Times n’ont pas manqué d’ailleurs d’exciter à cet égard les défiances de l’opinion. M. Bright n’a pas craint, en pleine chambre des communes, de faire allusion aux liens personnels qui unissent le redoutable journal aux adversaires du cabinet : les rires de la chambre et les regards braqués sur M. Lowe traduisaient spontanément l’allusion. Le combat fini, M. Disraeli, dans cette fanfare triomphante qu’il a exécutée devant ses électeurs à Slough, a repris ce procès que l’opinion fait au Times, et a marqué de son trait fantasque et comique la fausse position du journal-géant. Ces petites blessures, venues à la suite de la mésaventure de la motion Cardwell, qu’il avait si chaudement épousée, ne sont qu’un léger accident dans les destinées du Times. Ce journal, nous n’en sommes point en peine, saura bien se raccommoder avec l’opinion et le succès du jour ; mais il n’est pas encore remis, il n’a pas recouvré son aplomb : c’est évidemment à son indécision et à sa mauvaise humeur passagère qu’il faut attribuer sa boutade sur les arméniens de la France.

Les dénonciations du Times, portées à la chambre des communes par sir Charles Napier, ont eu deux résultats heureux : elles ont été réfutées avec autorité par deux membres du ministère, M. Disraeli et sir John Packington, et elles ont provoqué un démenti catégorique du Moniteur, En prenant acte et se déclarant satisfait des explications de M. Disraeli, le Times cherche à placer les faits inexacts qu’il avait avancés sous la sanction d’une soi-disant notoriété européenne. La notoriété, cependant lui donne tort. S’il est un fait notoire pour ceux qui ont suivi la discussion du budget de l’armée au corps législatif, c’est que, loin de vouloir augmenter cette année notre effectif militaire, le gouvernement était disposé à le diminuer dans une proportion excessive. La commission du budget elle-même, malgré son goût pour les économies, s’est émue de la disproportion que le gouvernement était dis-