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la lettre par laquelle le sultan d’Agadès lui faisait connaître la présence des voyageurs, qu’il n’avait cessé de suivre avec intérêt les mouvemens de l’expédition. Il ajouta quelques paroles touchant la mort de Richardson et d’Overweg, puis il accorda au voyageur l’autorisation de se rendre à Timbuktu, qui dépend de l’empire fellani, de visiter de nouveau et plus complètement l’Adamawa, si l’occasion s’en présentait à son retour, et promit en outre que sa protection serait acquise à tous les Anglais qui voudraient circuler et trafiquer dans les états soumis à sa puissance. Enfin il se montra très satisfait des présens qui lui furent offerts, et qui consistaient en des burnous de satin et de drap, un caftan, un tapis turc, des pistolets montés en argent, des miroirs, des rasoirs, des ciseaux, des aiguilles, et quelques autres de ces objets qui, vulgaires en Europe, acquièrent une importance et un prix considérable en pénétrant dans le centre de l’Afrique. Le voyageur reçut en échange le présent d’usage, consistant en têtes de bétail, et de plus cent mille de ces petites coquilles appelées cauris, dont, à Sokoto, sept environ équivalent à un centime.

Après cette entrevue satisfaisante, l’émir et le savant européen se séparèrent : le premier s’en allait vers le Mariadi châtier des tribus rebelles, le second se préparait à prendre quelque repos dans la capitale de l’empire des Fellani. Cette capitale est encore Sokoto, mais une rivale s’élève à ses portes mêmes et menace de la détrôner : c’est une résidence impériale qu’on appelle Vourno, et qui compte en ce moment douze ou quinze mille habitans. Plus d’une fois déjà nous avons dit avec quelle rapidité naissent et meurent les villes africaines ; Sokoto et Vourno paraissent devoir fournir un prochain exemple de ce fait. Au temps d’Oudney et de Clapperton, il n’était question que de la première : c’était une de ces villes à large surface, entourées de murs et semées de maisons à terrasses et de cabanes formant des rues irrégulières dont Katsena, Kano et plusieurs autres nous ont fourni plus d’un spécimen. Son origine ne remontait pas à une haute antiquité ; son nom paraît signifier en langage fellani le mot halte, et en effet les conquérans de ces pays la bâtirent vers 1805, après s’être emparés de Gober ; mais Bello, qui avait contribué lui-même à sa prospérité, s’en lassa et transporta vers 1831 sa résidence à quelques lieues plus au nord-est, sur une hauteur en pente douce, enveloppée par un pli d’une rivière appelée Reina, où Vourno, cité nouvelle que le caprice d’un souverain peut tuer à son tour, se développe en ce moment. Toutefois Sokoto compte encore plus de vingt mille habitans, et son marché n’a pas cessé d’être richement pourvu et très fréquenté ; quelques maisons en ruines dans les quartiers déserts sont jusqu’ici les seuls indices de décadence dont elle est menacée. Après un séjour de plus d’un mois dans ces deux villes, Barth reprit son voyage dans la direction de l’ouest ; mais le chemin direct de Timbuktu lui était interdit de nouveau par les guerres intestines des tribus, et cette circonstance le contraignit de faire vers le sud-ouest un long détour qui lui permit de visiter la ville et l’état de Gando, que jusqu’ici aucun voyageur n’avait encore mentionnés. C’est une des provinces de l’Afrique les plus dévastées par la guerre civile à cause des élémens de trouble et de discorde qu’y a développés le contact des conquérans fellani. D’ailleurs toute cette région est fertile, populeuse, bien arrosée.