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l’est-sud-est et tributaire du Bornu, semble être resté dans un état de prospérité et de puissance inférieur ; toutefois sa capitale, Logone-Birni, appelée aussi Karnak-Logone, a un quartier remarquablement bâti. C’est à la hauteur de cette ville que M. Barth passa, non sans opposition de la part des riverains, le Serbewel, puis le Shari, dont nous avons mentionné plus haut la remarquable largeur. En cet endroit commencèrent pour l’explorateur des embarras et des obstacles qui allèrent croissant dans tout le reste de son excursion : le prince de Logone, plein d’admiration pour sa science et pénétré de sa supériorité, voulut le retenir ; il avait deux vieux canons de fer avec leurs affûts provenant on ne sait d’où, dont il était bien fier, et c’est à grand’peine que M. Barth put se défendre de les mettre à l’épreuve. Enfin le voyageur obtint de passer outre ; au-delà du Shari, il était dans le Bagirmi. On lui fit dire que pour avancer l’autorisation du gouverneur était nécessaire. Contraint à un séjour prolongé, il voulut retourner sur ses pas, on l’en empêcha.

L’énorme quantité de crocodiles longs de douze à quinze pieds qui fréquentent les deux rivières et leurs moindres affluens, l’existence d’un grand cétacé analogue et probablement identique à l’ayu du Binué, les ravages causés dans certaines parties de la contrée par un nombre prodigieux de grands vers noirs et jaunes dont les pauvres gens se nourrissent, sont les faits qui méritent le plus d’être signalés. Il y a aussi dans tout le Bagirmi plusieurs espèces de fourmis et de termites qui dévorent tout ce qu’elles approchent ; elles firent disparaître une portion des bagages de M. Barth. Ces insectes se bâtissent des demeures de proportions gigantesques. M. Barth affirme en avoir vu non loin d’un lieu appelé Mêlé, sur la rive droite du Shari, qui ont deux cents pieds de circonférence et de trente à quarante pieds d’élévation. Les rhinocéros, les éléphans, les girafes, les hyènes, les singes sont très nombreux. Un matin, en déplaçant son bagage, le voyageur trouva sous un de ses sacs cinq scorpions ; enfin, pour compléter l’énumération des bêtes remarquables ou dangereuses de cette contrée, il faut mentionner une espèce de tsé-tsé jaune, cantonné sur les bords de la rivière, et qui n’est pas moins funeste aux animaux domestiques que le tsé-tsé vu par MM. Anderson et Livingstone dans leurs voyages au lac N’gami. — Il y a aussi, comme au cap de Bonne-Espérance, un petit oiseau, le cuculus indicator, qui guide les hommes vers les ruches de miel sauvage ; au Bagirmi, on l’appelle shnéter, et les naturels racontent que c’est une vieille femme qui fut ainsi métamorphosée en cherchant son fils égaré, qu’elle ne cesse d’appeler par son nom : Shnéter ! Shnéter ! Les habitans du Bagirmi n’appartiennent pas à la race des Kanuris ; ils ont des rapports intimes avec des tribus de l’est et sont plus forts et mieux faits que ceux du Bornu. Les femmes surtout sont belles ; elles ont de grands yeux noirs renommés dans tout le Negroland pour leur éclat, des traits réguliers et expressifs ; leurs narines ne sont pas larges et déformées par un os ou du corail, comme chez les Bornouannes ; elles prennent un soin particulier de l’arrangement de leur chevelure et la relèvent en forme de casque, ce qui leur va à merveille, sans l’enduire de graisse ou de beurre comme les coquettes des contrées avoisinantes. Leur vêtement, d’une grande simplicité, se compose tout simplement d’une robe, turkedi, qui se