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forêts et des marécages qui l’entourent. Les grands animaux y abondent, surtout la girafe et l’éléphant ; les voyageurs eurent occasion de manger de la chair de ce dernier animal ; elle rappelle assez celle du porc, seulement elle se digère mal. Le vizir fit don à Overweg d’un petit lion et d’une espèce de chat sauvage que ses gens avaient pris ; ces animaux suivirent quelques jours l’expédition, puis ils périrent. Les naturels du Musgu sont païens ; sans cesse exposés aux incursions et aux ravages de leurs voisins, qui viennent recruter parmi eux des troupeaux d’esclaves, ils ont pris un aspect particulièrement farouche et sauvage ; ce sont de beaux hommes, vigoureusement constitués, dont la peau est d’un noir sale un peu clair. En beaucoup d’endroits, ils résistaient courageusement aux envahisseurs, dont, à vrai dire, les mauvais fusils, chargés avec des balles d’étain, ne valaient guère mieux que les lances des naturels. Ailleurs ils fuyaient, mais quelquefois en laissant dans leurs huttes désertes des vivres empoisonnés ; c’est ainsi que précédemment ils avaient fait périr beaucoup de leurs ennemis. Leurs villages, entourés de larges champs de riz, sont composés de ces cabanes circulaires et coniques qu’on retrouve ailleurs, et d’une autre espèce de huttes de forme toute particulière ; ce sont des cylindres avec un toit rond surmonté d’une espèce de champignon. À l’armée de Bornu s’étaient joints des corps auxiliaires de Shuwas et de Fellani ; tous ces Africains, pleins d’avidité, accomplissaient à l’envi leur œuvre de dévastation, brûlant les hameaux et détruisant les récoltes ; puis ils mettaient en commun les esclaves et le butin pour en faire le partage à leur retour ; leurs brigandages et leur cupidité étaient un spectacle hideux et affligeant. Néanmoins cette déplorable expédition eut un résultat scientifique important : elle permit aux Européens de voir à la partie supérieure de son cours le Serbewel, affluent ou plutôt bras occidental du Shari, principale rivière qui alimente le Tsad. Shari-Eré, peut-être Serbewel, et la plupart des noms que portent les deux branches de ce grand cours d’eau signifient simplement rivière dans les idiomes des peuplades qui vivent sur ses bords ; l’appellation qui, selon M. Barth, lui convient le mieux est rivière de Logone. Dans une rapide excursion, Overweg eut occasion de voir le Serbewel dans une partie inférieure de son cours, Barth traversa quelques mois plus tard les deux bras ; l’un et l’autre coulent du sud au nord ; ils sont profonds, navigables, et leur largeur varie de trois à six cents mètres ; un nombre considérable de cours d’eau inférieurs s’y déversent. Si, par un concours d’heureuses circonstances topographiques, le Binué, contournant les montagnes du Mandat avait, avec le Serbewel, quelque communication navigable, on pourrait aller par voie fluviale de l’Atlantique à l’intérieur du Tsad. Une telle hypothèse n’est pas dénuée de tout fondement : en 1854, Vogel eut à son tour l’occasion de pénétrer dans le Musgu il s’avança au-delà du point où s’étaient arrêtés ses compagnons, et signala chez les Tuburi un lac d’assez vaste étendue ; il paraît qu’il se trompait. M. Barth pense, d’après des renseignemens positifs, que son compatriote a vu une branche nord-est du Binué après l’inondation, et comme le pays des Tuburi est plat, marécageux et coupé de canaux naturels, rien ne paraît s’opposer à ce que le Serbewel, qui y coule également, s’y puisse trouver en communication avec l’affluent du Niger.