Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/929

Cette page a été validée par deux contributeurs.

réveiller les morts de leur tombe, tant il était répercuté par la chaîne de montagnes et roulait le long du wadi ; mais pas de réponse. Je ne savais plus quelle idée me faire de la distance, considérable apparemment, qui me séparait de mes compagnons, puisqu’ils n’avaient pas entendu mes coups de feu. Le soleil, que j’avais moitié désiré, moitié attendu avec terreur, se leva enfin. Ma situation devint plus misérable avec la chaleur ; je me traînais, changeant à chaque instant de position, pour trouver un peu d’ombre sous les branches sans feuilles de mon arbre. Vers midi, à peine un restant d’ombrage, juste pour abriter ma tête ; je souffrais toutes les tortures de la soif, et suçai un peu de mon sang. Enfin je perdis connaissance, et tombai dans une espèce de délire d’où je ne sortis que lorsque le soleil s’effaça derrière les montagnes. À ce moment je recouvrais mes sens, et, me traînant de dessous l’arbre, je jetais un mélancolique regard sur la plaine, quand soudain retentit le cri d’un chameau. De ma vie je n’ai entendu plus délicieuse musique. Je me soulevai un peu de terre, et vis un Tarki passant près de moi et jetant les regards de tous côtés. Il avait suivi mes traces sur le sable, puis les avait perdues sur le sol caillouteux, et ne savait plus dans quelle direction me chercher. J’ouvris ma bouche desséchée, et criai autant que mes forces épuisées le permettaient : Aman ! aman ! (de l’eau ! de l’eau !) J’eus le bonheur d’entendre la réponse : Iwah ! iwah ! et en quelques instans le Tarki fut à mon côté, lavant et arrosant ma tête, tandis que je poussais un cri involontaire et non interrompu de el hamdu lillahi ! el hamdu lillahi ! »

Le libérateur de M. Barth le coucha sur son chameau, et rejoignit la caravane, où l’on désespérait de revoir l’imprudent voyageur qui, durant trois jours, ne put presque ni parler ni manger, tant sa gorge était desséchée. Peu à peu cependant ses forces se rétablirent, et lorsque peu après on arriva à Ghat, il avait recouvré sa vigueur.

Ghat ou mieux Rhat, si l’on voulait reproduire dans toute sa sincérité la prononciation indigène, n’est pas une grande ville : elle ne compte guère plus de deux cent cinquante maisons ; néanmoins son commerce est considérable, et il le serait bien plus encore si la jalousie des Tawati, habitans d’une oasis située plus à l’ouest dans le désert, ne lui interdisait le chemin direct de Timbuktu. Elle est située dans une assez jolie position, avec ses jardins et ses bandes de palmiers, au pied de la longue ligne rocheuse des monts Akakus ; mais la culture n’y est pas aussi développée qu’elle pourrait l’être avec plus de soins et une meilleure distribution des eaux. Après quelques négociations avec les chefs tawareks, l’expédition put reprendre sa marche à travers le désert, cheminant tantôt dans des plaines de sable et de cailloux, tantôt dans de profonds ravins bordés de montagnes cyclopéennes ; les tempêtes de sable, les fantasmagories du mirage étaient les accidens journaliers de sa marche. Quelquefois, quand la chaleur était trop accablante, on plantait la tente à midi, et l’on poursuivait la route aux clartés de la lune. À mesure qu’on avançait dans le sud, le changement de climat devenait plus sensible : des arbres et des plantes de transition entre le désert et les régions tropicales se mêlaient aux palmiers et aux éthels, on rencontrait de grands troupeaux de bœufs sauvages, des autruches ; mais c’est plus loin encore,