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quement son plan et se porter en moins d’une marche sur le territoire éduen. Qu’il voulût rester sur la défensive ou passer à l’offensive, la route que nous venons de tracer lui convenait mieux qu’aucune autre.

Nous ne saurions donc partager l’avis de quelques défenseurs de l’Alesia bourguignonne, ni croire avec eux que le consul ait songé à descendre la vallée de la Saône par la rive droite, en longeant le pied de la Côte-d’Or, prêtant le flanc à l’ennemi et lui donnant toute la liberté d’action qu’il perdait lui-même. Il eût dû ensuite traverser laborieusement les montagnes assez hautes qui séparent le Rhône du bassin de la Loire. Il n’eût porté aucun secours à la frontière nord de la Province, qui aurait probablement été forcée ou livrée pendant sa marche ; il n’avait même pas l’avantage d’arriver plus vite au secours des tribus du Vivarais. Mais on ne s’expliquerait pas mieux qu’il eût appuyé vers l’est pour s’enfoncer dans le Jura. Sa marche devenait plus lente, plus laborieuse, ses fourrages plus difficiles. Il s’en allait déboucher vers Genève, s’éloignant sans raison de son véritable échiquier et des points menacés, car ce n’étaient pas les Séquanes, c’étaient les Éduens et les Ségusiens, tribus de la Bourgogne et du Lyonnais, qui étaient chargés d’attaquer les Allobroges, et cette attaque se faisait probablement par le pays de Dombes et la Bresse, qu’occupaient les Ambarres, cliens et parens des Éduens[1]. Le danger qui appelait César n’était donc pas auprès du Léman. Or le projet de gagner Genève par le Jura pouvait seul l’avoir décidé à franchir la Saône au-dessus d’Auxonne, et d’autre part, s’il vient la passer au-dessous de ce point, il n’est plus sur le territoire lingon, ce qui est contraire aux assertions positives des Commentaires.

Admettons cependant qu’en écrivant ces pages, l’auteur des Commentaires ait été dans une veine tout exceptionnelle de concision, que Vercingétorix, par une de ces aberrations qui ne sont pas sans exemple dans l’histoire de la guerre, ait choisi la partie montagneuse de la Séquanie pour en faire le théâtre des opérations, et que César, par une complaisance aussi peu explicable, se soit prêté de bonne grâce à seconder ce dessein. En apprenant l’approche de l’ennemi, le général gaulois se porte au-devant de lui. Il campe un soir à dix milles des Romains, qui sont encore, il faut bien le répéter, sur le territoire des Lingons, c’est-à-dire sur la rive droite de la Saône. Le jour suivant, les deux armées sont aux mains. Où fut livré ce combat ? avant ou après le passage de la Saône ?

  1. « Necessarii et consanguinei Æduorum. » B. G., i, 11. Ces relations entre les tribus gauloises devaient avoir quelque analogie avec le lien qui unit entre elles plusieurs tribus de l’Algérie, et que les Arabes appellent énergiquement la fraternité du fusil.