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L’état de choses constitué en 1801 s’est maintenu jusqu’en 1856, époque où l’annexion complète, — l’absorption, c’est le mot consacré, — a été formellement proclamée. Autant vaut dire que, pendant un demi-siècle et plus, les Anglais ont eu sans conteste la haute main dans les affaires de l’Oude. Or, comme la responsabilité se mesure au pouvoir qu’on exerce, c’est à eux, à eux seuls, qu’il faut demander compte de l’état dans lequel ce royaume s’est trouvé lorsque, une année à peine après leur prise de possession, il est devenu le principal théâtre de la formidable insurrection de 1857. Elle s’y débat encore sous les coups redoublés dont la frappent sans relâche les habiles généraux auxquels la Grande-Bretagne a confié le soin de sa vengeance, et dans aucune autre partie, de l’immense empire anglo-indien ce terrible incendie, que tant de sang n’a pas encore pu éteindre, n’a trouvé plus d’alimens ni de plus inflammables. D’où vient donc ceci ? Et la réponse à cette question n’est-elle pas dans la situation faite au prétendu souverain de ce malheureux pays comme à ses grands feudataires, à partir de l’époque dont nous avons dû évoquer le souvenir ?

Un livre curieux à plus d’un titre et devenu plus curieux encore qu’il ne l’était, the Private Life of an Eastern King, nous a montré l’intérieur de ce kayserbagh[1] de Lucknow, où se vautrait dans l’abrutissement le plus effréné, dans les excès du sensualisme le plus grossier, Wajid-Ali, le cinquième successeur de ce Saadut-Ali-Khan, avec lequel fut signé le traité de 1801. Saadut-Ali-Khan lui-même n’était pas, comme on est peut-être tenté de le croire, un prince dépourvu de toute énergie et de toute capacité. Il avait su, tout en réduisant considérablement l’effectif de son armée, tenir en bride les excès d’une turbulente aristocratie, faire exécuter à peu près les lois du pays rentrer en possession de plusieurs territoires arrachés par d’indignes favoris à la prodigalité aveugle de ses ancêtres, et telle était son économie (dont les Anglais profitèrent largement) qu’ayant trouvé à son avènement royal le trésor tout à fait vide, il y laissa, après dix-sept ans de règne, une épargne de 14 millions sterling (350 millions de francs). Lord Hastings, au milieu des embarras financiers de 1814, alors que le change mettait la roupie au taux exorbitant de 2 shillings 8 et 10 pence[2], ayant sur les bras son expédition du Népal, fut heureux d’avoir à puiser dans ces coffres si bien garnis. Après la mort du nabab, son fils aîné Gazee-ud-Deen-Hydur, absolument dominé par le résident anglais, qui était alors le colonel Baillie, prêta successivement à l’honorable compagnie,

  1. Kayserbagh, palais du roi. Voyez sur ce livre la Revue du 1er janvier 1856.
  2. Au lieu de 2 shill. 1/2 p.