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affectant parfois celui de Scapin, ne parvenant guère à se faire prendre au sérieux ni par l’église, à laquelle il n’appartenait en aucune façon, ni par le monde, dont il avait conservé les allures en s’en trouvant séparé par son habit. Écrasé sous le poids d’une position fausse, dont on se dégage quelquefois par le caractère, mais jamais par l’esprit, l’abbé Dubois comprit vite qu’il ne lui restait qu’un rôle possible, celui d’un dévouement absolu à son maître ; qu’il n’avait qu’une chance pour élever un jour sa condition, celle de devenir nécessaire au prince qui connaissait mieux que personne la portée de son intelligence politique, et s’inquiétait moins que tout autre des licences de son langage et des disparates de sa vie. Aussi ne quitta-t-il jamais le duc d’Orléans ni dans la paix ni dans la guerre, et les implacables ennemis que lui fit plus tard sa fortune attestent qu’il porta sur tous les champs de bataille un sang-froid que faisaient remarquer davantage son petit collet et sa maigre figure, encadrée dans une perruque blonde.

Si Dubois ne valut pas mieux que la moyenne de ses contemporains, on peut affirmer qu’avant son ministère ses mœurs n’étaient pour personne un objet de remarque, ou du moins de scandale. Le roi l’interrogeait souvent ; il avait dans les entours du duc de Bourgogne des liaisons honorables, et la manière dont Fénelon parle de Dubois dans diverses lettres à son neveu, l’avis qu’il donne à ce jeune homme de le cultiver[1], sont fort loin de laisser soupçonner un monstre ; on ne voit pas poindre encore ce parangon de vice et de bassesse issu de l’entente des jansénistes exaspérés avec les grands seigneurs furieux de s’être vus évincés du pouvoir par un ancien laquais. Il est fort à croire assurément que cet abbé de contrebande ne fut au Palais-Royal ni un héros de chasteté ni un héros d’indépendance ; mais il faut que ses écarts aient tenu assez peu de place dans sa vie, puisque ses ennemis ne relèvent par le nom d’aucune maîtresse leurs attaques à sa moralité, car l’historiette du mariage

  1. Lettre au marquis de Fénelon du 4 juin 1693. Voici sur les rapports de Fénelon avec Dubois des témoignages plus formels. Dans une lettre que lui adresse l’archevêque de Cambrai pour lui recommander son neveu, qui faisait en 1706 la campagne d’Italie dans l’armée du duc d’Orléans, il s’exprime en ces termes : « J’ai appris, monsieur, les bons offices que vous avez rendus à mon neveu, et je les ressens comme les marques de la plus solide amitié pour moi. J’espère qu’il ne négligera rien pour vous engager à continuer ce que vous avez bien voulu faire d’une manière si effective et si obligeante. Je n’oublierai jamais ce que nous vous devons, lui et moi, dans cette occasion. Jugez combien je suis touché lorsque je joins une chose si digne de votre bon cœur avec toutes les autres qui m’ont rempli depuis si longtemps des sentimens les plus vifs et les plus sincères pour vous… Je crains pour vous dans cette guerre, sachant combien vous vous exposez. Réservez-vous pour servir le prince d’une autre manière plus tranquille. Personne ne sera jamais, monsieur, avec une plus forte passion, etc. De Cambrai, 4 octobre 1706. » Si l’on croit pouvoir attribuer à la reconnaissance de Fénelon les formules plus que polies de cette lettre, nous joindrons à ce passage l’extrait suivant d’une lettre de recommandation adressée cinq ans plus tard à la femme d’un intendant auprès duquel l’abbé Dubois suivait une affaire d’intérêt privé : « Souffrez, madame, que je vous montre une pleine confiance pour une grâce que je dois vous demander. M. l’abbé Dubois, autrefois précepteur de monseigneur, le duc d’Orléans, est mon ami depuis un grand nombre d’années. J’en ai reçu des marques solides et touchantes dans les occasions. Ses intérêts me sont sincèrement chers. Je compterai, madame, comme des grâces faites à moi-même toutes celles que vous lui ferez. S’il était connu de vous, il n’aurait aucun besoin de recommandation, et son mérite ferait bien plus que mes paroles. Il a une affaire importante où vous et M. Renjault pouvez lui être très utiles. J’espère que vous ne refuserez pas de lui faire sentir de bon cœur ce qui m’a fait une si forte impression pendant que vous étiez en ce pays. 11 octobre 1711. »