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apathique sur l’issue de la lutte. Le parlement n’avait pas tardé à franchir les limites très peu précises qui, sous l’ancien régime, séparaient la résistance légale de l’usurpation de souveraineté. Éprouvant le besoin de se dédommager d’un silence de cinquante ans, tout plein des vagues espérances conçues au début du nouveau règne, il était sous l’empire d’une fièvre d’opposition qui l’aurait promptement conduit aux dernières extrémités, si la froideur publique n’avait amorti ses entreprises et ses coups. On était en effet dans un temps où le pays, partagé entre l’agitation janséniste et les émotions excitées par le succès des premières opérations de Law, ne prêtait qu’une attention distraite aux remontrances réitérées d’un corps dont les arrêts arguaient de nullité les actes principaux de l’autorité royale. Comme il arrive toujours, les cupidités avaient énervé les passions. L’édit pour la création de la chambre de justice qui, dans la personne des traitans, atteignait leurs fils, revêtus en si grand nombre de la toge parlementaire, celui de 1718 relatif aux monnaies, l’octroi au sieur Law d’attributions qui laissaient pressentir la promotion prochaine de cet étranger au contrôle général des finances, toutes ces mesures avaient provoqué, de la part des magistrats, une série d’arrêts qui constituaient la magistrature en guerre flagrante avec la régence. Cette lutte, destinée à se renouveler si souvent durant le règne de Louis XV, prit, à partir de cette époque, des allures en quelque sorte régulières, à tel point qu’on pouvait en tracer d’avance le programme.

Lorsque le grand conseil avait cassé les arrêts du parlement, celui-ci commençait par engager dans sa cause la tournelle, la cour des comptes et la cour des aides ; il ralliait les divers parlemens du royaume par des arrêts d’union, préludant ainsi à la tentative d’instituer un grand corps indépendant, politique et judiciaire, entre la couronne et la nation. Les avocats cessaient de plaider, les magistrats quittaient leurs sièges, et des milliers de suppôts désœuvrés demeuraient sur les pavés de Paris en disponibilité pour tous les désordres. La couronne, de son côté, menaçait d’un lit de justice, faisait enlever de nuit les meneurs du parlement, en pensionnait quelques-uns et envoyait la cour siéger à Pontoise. La recette était d’un effet sûr, car encore qu’on y fit grande chère, l’ennui ne tardait pas à faire voir aux plus obstinés les questions sous un autre jour. Après quelques mois de suspension dans la distribution de la justice, le parlement, stimulé par les avocats sans cause et les huissiers sans protêt, rentrait silencieusement au palais, sans que la royauté eût retiré plus de profit que lui-même d’une conduite dont la violence était presque toujours rachetée par une faiblesse.

On sait que le système devint, de 1717 à 1720, le principal