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martyrs chaque jour immolés pour elle. Pourtant une grande incertitude planait encore, durant la régence, sur l’issue définitive de la lutte engagée entre deux familles dont l’une pouvait compter sur l’Ecosse et l’Irlande presque entières, dont l’autre se montrait plus soucieuse de fortifier sa position en Allemagne que de s’identifier avec un pays où elle n’était pour ses propres partisans que le signe et le gage de leur victoire. La maison d’Autriche, à laquelle les derniers traités venaient d’arracher la couronne des rois catholiques, ne pouvait se résigner à un tel sacrifice, et l’empereur Charles VI aurait plus d’une fois tenté de troubler un état de choses fondé sur ce qu’il considérait comme la déchéance de sa race, s’il n’avait eu à compter d’abord avec les menaces des Turcs, et plus tard avec leur fanatique désespoir. Deux royautés nouvelles érigées en Prusse et en Piémont, en recherchant toutes les occasions d’élever leur puissance au niveau de leur titre, venaient multiplier ces brandons de discorde complaisamment attisés par le cardinal Alberoni. Au nord, la Pologne, se débattant entre deux rois patronnés par l’étranger, entrait dans la période de fébrile impuissance que la Suède avait ouverte au profit définitif de la Russie. Enfin ces deux contrées rivales étaient régies, l’une par un grand homme résolu à remuer l’univers pour s’y faire une place digne de lui, l’autre par un guerrier maniaque dont le nom demeure dans l’histoire ballotté entre ceux d’Alexandre et d’Érostrate, et qui voulait, avant de disparaître de la scène du monde, y allumer un dernier incendie.

De 1715 à 1720, l’Europe toucha donc, par les points les plus divers, à des collisions d’une portée incalculable, et la crise qui avait ensanglanté la dernière moitié du siècle précédent semblait devoir recommencer et s’étendre. Si la foudre n’a pas enflammé ce ciel orageux ; si, dans une période de vingt-huit ans, de la mort de Louis XIV à celle du cardinal de Fleury, la France a presque doublé sa population et plus que triplé ses richesses, le principal honneur en revient à la volonté du régent de faire échouer sur tous les points les tentatives de certains cabinets contre l’état territorial et celles des factions contre l’ordre établi. Le succès de cette politique, dont la modestie n’excluait pas l’utilité, est dû principalement à la sagacité un peu vulgaire, mais toujours éveillée, avec laquelle Dubois éventait toutes les mèches, à la courageuse promptitude avec laquelle il posait le pied sur tous les charbons. L’épuisement de la France après le règne de Louis XIV ne comportait pas une autre conduite, comme nous croyons l’avoir surabondamment établi[1].

  1. Voyez, sur Louis XIV et ses Historiens, la Revue du 1er novembre 1856, 15 février et 1er juillet 1857.