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point de voir un gentil courtiser sa femme, pourvu que le gentil soit riche ou en état de le servir : il sait bien qui l’on trompe. C’est surtout chez cette race toute singulière qu’on peut étudier la différence qui existe entre la chasteté purement matérielle et la vertu : les juwas sont chastes, elles ne sont point vertueuses. La résistance chez elles n’est qu’une limite, mais infranchissable. J’avais remarqué l’anneau d’or surmonté d’un demi-souverain que portait au doigt une des femmes de la bande. Cette juwa, encore jeune et assez jolie, avait encouragé les avances d’un garçon de ferme. Le pauvre diable, ayant la tête tournée, avait employé le fruit de ses économies à acheter ce bijou, qui fut offert comme gage de tendresse et accepté : les gypsies reçoivent toujours. Enhardi par le succès, le jeune homme avait attendu la, juwa dans un chemin désert au moment où elle revenait de dire la bonne aventure, et lui avait passé le bras familièrement autour de la taille. Qui a vu l’oiseau de proie s’envoler de terre quand s’approche une troupe d’enfans peut se figurer le bond à l’aide duquel la gypsy prit son essor, sautant avec une agilité sauvage par-dessus un buisson et accablant de reproches le gorgio. Elle avait tout confié à son mari, qui racontait en riant l’aventure. La chasteté de la femme gypsy a deux remparts : l’amour et la haine. Sa haine est pour le sang blanc ; son amour, et elle est capable d’aimer, est pour les hommes de sa race. Une jeune fille de treize ans, à laquelle on demandait un jour si elle voudrait épouser un gentleman, prit un petit air de dégoût et secoua la tête en signe d’aversion. « Et si, ajouta-t-on en riant, il n’y avait plus sur la terre que vous et un jeune gorgio de votre âge ? — Je me marierais avec lui, mais je le détesterais, » répondit-elle.

La femme gypsy est en outre une excellente mère. Elle accouche le plus souvent, comme elle est née elle-même, dans la bruyère, au pied d’un arbre ou derrière un bosquet de noisetiers. J’ai vu l’une de ces malheureuses à l’état de confinement, comme disent les Anglais, dans une grande tente recouverte de haillons et plantée au milieu d’une des plaines de North-Woolwich. Dix enfans de différens âges, dont sept lui appartenaient et dont trois étaient à sa sœur, se chauffaient autour d’un feu de charbon de terre qui brûlait dans l’intérieur de la tente, ouverte par le milieu du toit. La femme, pâle sous ses cheveux noirs, avait conservé quelques restes de beauté flétrie ; elle était couchée sur la paille avec son nouveau-né à côté d’elle : on ne rencontre pas de berceau chez les gypsies, Il était triste et touchant, au milieu de cette misère, de voir le visage terni de la mère s’éclairer d’un rayon d’orgueil quand elle donnait le sein à son enfant. Les gypsies sont fières de leur progéniture : dans les veines de leurs rejetons coule le noble sang noir, le sang de la vieille