Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/735

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sacrée, la langue des savans, dans laquelle ont été écrits les principaux monumens de la littérature et des croyances nationales : mais il est incontestable qu’à une certaine époque le sanscrit était d’un usage commun parmi les différentes tribus hindoues. Un philologue allemand, Büttner, soupçonna le premier que les gypsies sortaient de la souche antique de l’Inde : cette origine indienne fut ensuite prouvée et démontrée par Grellmann[1]. L’historien des races humaines, Prichard, ne doutait point d’une telle filiation : aux lumières de l’histoire et de la linguistique il ajouta même celles de la physiologie. Les traits des gypsies se rapportent au type hindou : Prichard fait seulement observer que ces tribus errantes, quoique relativement très brunes en Europe, sont d’une couleur beaucoup moins foncée que les Hindous des classes abaissées, lesquels sont quelquefois aussi noirs que les nègres de la Guyane. Il attribue ce changement de couleur à l’influence du climat. Les gypsies descendent donc par voie de migration d’une tribu indienne ; mais de quelle caste procèdent-ils ? Évidemment d’une caste très inférieure. Il existe dans les lois de Manou un passage que je n’ai jamais vu cité, et je m’en étonne, par les auteurs qui se sont occupés des gypsies. Le législateur parle d’une espèce d’hommes composée de classes mêlées, ce sont les Tchandalas. C’est pour eux qu’il a dit : « Leur demeure doit être hors du village ; ils ne peuvent avoir des vases entiers, et ne doivent posséder pour tout bien que des chiens et des ânes. Qu’ils aient pour vêtement les habits des morts, pour plats des pots cassés, pour parure du fer ; qu’ils aillent sans cesse d’une place à une autre ; qu’aucun homme fidèle à ses devoirs n’ait de rapports avec eux : ils ne doivent avoir d’affaire qu’entre eux et ne se marier qu’avec leurs semblables. » Cette sentence me frappe quand je rapproche de la vie des Tchandalas la condition actuelle des gypsies, réunis par bandes ou par familles, couverts de haillons, conduisant des chevaux ou des chiens affamés, n’ayant que des meubles et des ustensiles brisés, ne s’alliant qu’entre eux, campant un ou deux jours auprès des villages, d’où ils disparaissent subitement comme ils sont venus. Il paraît d’ailleurs certain, d’après

  1. L’ouvrage de Grellmann a été traduit en anglais par M. Raper : Dissertation on the gypsies, being an historical inquiry concerning the manners, economy, customs and conditions of the people in Europe, 1787. Grellmann était plutôt un savant linguiste qu’un observateur ; aussi la partie la plus intéressante de son livre, la seule intéressante peut-être, est celle on il expose et résout cette question : « D’où les gypsies sont-ils venus parmi nous ? De l’Hindoustan. » Il avoue être redevable de la plus forte de ses preuves, — la comparaison des langues, — à Büttuer, qui le premier avait saisi le lien entre le dialecte des gypsies et le sanscrit.