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car, comme il aimait la guerre, il ne savait plus à quoi employer son temps. Enfin il s’avisa de déclarer la guerre à Dieu. Il lui envoya donc un défi, le sommant de descendre du ciel avec ses anges pour lutter avec Pharaon et ses armées. Dieu répondit : « Je ne mesurerai point ma force avec celle de cet homme. » Il n’en fut pas moins enflammé de colère contre Pharaon, et pour le punir il ouvrit un trou au flanc d’une énorme montagne, puis il déchaîna un vent furieux qui chassa devant lui Pharaon et ses armées vers l’abîme. Quiconque aujourd’hui s’approche de cette montagne la nuit de la Saint-Jean peut entendre Pharaon et ses armées chanter et hurler dans les profondeurs de l’antre. Et il arriva que, quand Pharaon et ses armées eurent disparu, tous les rois des nations qui avaient subi le joug de l’Égypte se révoltèrent contre la nation conquérante, laquelle, ayant perdu son roi et ses armées, demeura tout à fait sans moyens de défense. Ces rois étrangers lui firent la guerre, et ils la vainquirent, et ils chassèrent devant eux le peuple égyptien, qui se dispersa sur toute la terre. Et voilà pourquoi les chevaux des gypsies boivent maintenant les eaux de la Neva, dû Tage, de la Seine ou de la Tamise, au lieu de boire les eaux du Nil. »

L’opinion la plus vraisemblable est que la tradition qui rattache les gypsies à l’ancienne Égypte ne vient point des gypsies eux-mêmes : elle leur a été suggérée, imposée par les théologiens du moyen âge. Une telle descendance était en effet fondée sur une interprétation mystique de certains passages de la Bible. De là l’opinion universellement admise jusqu’à ces derniers temps que les gypsies étaient des Égyptiens dispersés à travers les autres nations par l’épée des Assyriens. Quant aux hordes nomades du peuple maudit, elles avaient oublié, lors de leur arrivée en Europe, jusqu’au nom de leur terre natale. D’où venaient-elles ? où allaient-elles ? Demandez plutôt à la source d’où viennent ses eaux ; demandez au nuage où il va ! Une telle ignorance étonne, mais elle est en rapport avec le caractère insouciant de ces tribus vagabondes. Tout porte à croire qu’un long temps s’était d’ailleurs écoulé entre leur dispersion et leur arrivée dans les états civilisés du monde chrétien. N’ayant point de traditions, elles acceptèrent volontiers celle qu’on leur indiqua, comme elles en auraient adopté une autre. Tel est en effet chez l’homme le besoin d’une patrie morale que, quand la réalité historique lui manque, il ne demande pas mieux que de se rattacher à une fiction.

D’autres historiens ont cru retrouver chez les gypsies les deux tribus perdues de la maison d’Israël. La destinée des Romuny[1]

  1. C’est le nom que les gypsies se donnent à eux-mêmes. Ce mot est d’origine sanscrite. Les hommes sont des roms, les femmes sont des juwas.