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même une énigme. Ce peuple, répandu aujourd’hui à la surface de la terre, a perdu partout ses annales, ses traditions, ses dieux, le souvenir même de ses ancêtres : ne peut-on lui restituer son histoire ? La condition présente des bohémiens est misérable : n’y a-t-il pas lieu d’étudier dans leur genre de vie la cause de leur abaissement ? Quelques faits semblent indiquer que cette abjection n’est point sans remède : il s’agirait de déterminer quels sont leurs moyens de régénération morale » En un mot, la question des gypsies peut être envisagée à trois points de vue : ce qu’ils étaient, ce qu’ils sont, ce qu’ils pourraient être. Un intérêt particulier s’attache, si je ne me trompe, à cette race ancienne et malheureuse, qui proteste par sa beauté physique, surtout en Angleterre, contre la malédiction qui la poursuit.


I

D’où viennent les gypsies ? Si l’on s’arrêtait à la légende qui a cours dans quelques pays catholiques, l’origine et la dispersion des bohémiens modernes seraient bien vite expliquées. Voici cette légende : leurs ancêtres, qui étaient Égyptiens, ont refusé un asile à la vierge Marie et à l’enfant Jésus, quand ces exilés se retirèrent sur la terre d’Égypte pour fuir la colère du roi Hérode. On ajoute même qu’ils refusèrent de puiser pour la mère et l’enfant, qui avaient soif, un peu d’eau du grand fleuve, le Nil. Pour ce crime, Dieu a puni les Égyptiens. Il les a envoyés, pauvres, errans, méprisés, à travers toutes les autres nations de la terre. Par malheur, on peut faire à la légende une objection, c’est que ces prétendus Égyptiens n’ont rien de commun avec l’Égypte. Des voyageurs modernes ont rencontré, au Caire et dans les villages qui bordent le Nil, des bandes de gypsies assis sous des palmiers. Ces bohémiens étaient regardés comme des étrangers par les habitans de l’Égypte, tout aussi bien qu’ils le sont en Angleterre par les Anglais. Leurs traits et leur manière de vivre les distinguaient d’ailleurs de la population locale.

Ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est que cette origine égyptienne, en dépit des faits qui semblent la démentir, a été généralement acceptée par les bohémiens errans de tous les pays. Consultez-les, ils vous répondront tous qu’ils viennent de l’Égypte ; ils sont du sang royal de Pharaon, ils vous parleront même avec orgueil de l’antique grandeur de leur patrie imaginaire. Ils ont aussi leur légende : « Il y avait autrefois en Égypte un grand roi, et son nom était Pharaon. Il avait de nombreuses armées, avec lesquelles il fit la guerre à toutes les nations, et il finit par les conquérir toutes. Or, quand il eut conquis le monde entier, il devint triste et chagrin,