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fond et, disons-le, malgré l’imperfection de la forme, les Lionnes pauvres auront sans doute du succès. On a tant répété au public, et non sans raison, que le Mariage d’Olympe était le meilleur ouvrage de M. Augier, que, pour réparer ses torts et satisfaire sa curiosité, il viendra voir cette esquisse de satire contemporaine. Il applaudira de confiance une œuvre inférieure à celle dont il a causé la chute, sans remarquer cette fois que cette infériorité tient peut-être à une collaboration dont le moindre défaut est d’ôter nécessairement toute unité, toute logique, à la conception et à l’exécution.

L’idée générale, dans les Lionnes pauvres, n’a pas sauvé la forme, et c’est une vérité littéraire dont on ne saurait trop se pénétrer. Il n’est pas d’essai si infime sur lequel ne se détache une pensée quelconque. Il y a certainement un fonds de vérité et d’observation dans l’Héritage de M. Plumet, le nouvel ouvrage des auteurs des Faux Bonshommes, et jamais comédie ne fut plus triste, plus terne ; jamais mots ne furent plus pauvres. Le bonhomme Plumet eût été assez amusant s’il n’eût commencé par montrer du premier coup toute l’étendue de sa bêtise. Après sa première scène, nous le savons par cœur, et nous pouvons nous en aller. On pouvait espérer mieux de M. Barrière, qui ne manque pas d’une certaine verve satirique ; mais qu’attendre d’une pièce que les auteurs croient achevée quand ils y ont introduit crûment et sans nuances l’idée comique qui lui sert de base ? C’est trop oublier que tout est dans l’exécution. Lorsqu’on possède la certitude d’être représenté, on ne se préoccupe que d’arriver à la scène le plus vite possible, et pour produire en peu de temps les effets nécessaires, la méthode la plus courte est l’exagération : brutalité devient synonyme de force, bizarrerie d’originalité. Aussi une récente circulaire officielle, qui défend l’emploi de l’argot dans les œuvres dramatiques, n’est-elle pas sans signification.

Il ne faudrait pas, pour les mêmes raisons peut-être, voir dans les représentations que donne Mme Ristori un simple objet de curiosité. Si ses efforts n’ont pas tout le succès désirable, si elle parvient à ne donner qu’une demi-ressemblance aux types immortels qu’elle essaie de représenter, il y a pour le public, dans le spectacle de semblables tentatives, plus qu’un plaisir noble et délicat, il y a encore tout un enseignement. Ce qui donne aux tragédies de Corneille et de Racine une permanence de beauté absolue, c’est le style. Les règles dramatiques selon lesquelles ces œuvres ont été conçues ont sans doute perdu de leur autorité ; la forme qu’elles revêtent est restée un modèle impérissable. La tragédie a cessé d’être pour nous une forme théâtrale, elle est demeurée une forme purement littéraire. Le point de vue du spectateur a dû nécessairement s’en trouver modifié. Grâce à leur admirable style, si ce qui se passe sur la scène ne correspond plus à nos besoins et à nos habitudes, nous jouissons au théâtre des grands maîtres du XVIIe siècle comme s’il s’agissait d’une lecture et non d’une représentation. Dans les chefs-d’œuvre que nous a légués la tradition classique, nous acceptons, sans en faire l’objet immédiat de notre jugement, la charpente, la distribution des actes, la conduite de l’action, en un mot tout ce qui constitue particulièrement le côté périssable de l’art scénique, et nous ne nous occupons précisément que de la partie immortelle, c’est-à-dire de la composition des personnages, de leur pensée et de leur diction. C’est pourquoi l’artiste qui