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comme rien ne l’enthousiasme ; s’il a un encouragement pour la vertu, il a un sourire pour le vice. Entre ces deux choses, cet homme d’esprit doit évidemment se prononcer pour la moins ennuyeuse, et soit dans les Filles de Marbre, soit dans le Demi-Monde ou les Lionnes pauvres, nous le trouvons dans les meilleurs termes avec les individus tarés contre lesquels il va tout à l’heure diriger sa verve mordante. Il dit souvent de très jolies choses, ce personnage ; mais je ne puis admettre à la fois sa morale et sa conduite : hypocrite de vice ou hypocrite de vertu, je ne puis en aucune façon l’accepter.

Ce prétendu type, soigneusement cultivé, parce qu’il amuse le public d’abord, ensuite parce qu’il convient à la spécialité de tel ou tel acteur, est la figure la plus saillante de la pièce que M. Augier vient de donner au Vaudeville en collaboration de M. Poussier. Le talent de M. Augier a été, à l’occasion de son principal succès dramatique, la Jeunesse, apprécié ici même d’une façon si complète qu’il m’est interdit d’y revenir. Il me faut cependant, à propos des Lionnes pauvres, émettre quelques réflexions que je crois nécessaires. Il est certain que M. Augier ne sait encore où il veut aller ; il hésite entre les délicatesses de la comédie de fantaisie et les brutalités de la satire. N’a-t-il pas fait d’ailleurs en ce dernier genre une des tentatives les mieux réussies, le Mariage d’Olympe ! Qu’il polisse les vers élégans de la Ciguë ou qu’il aiguise le trait flétrissant de Juvénal, qu’importe d’ailleurs, pourvu qu’il fasse bien ?

L’idée de sa nouvelle pièce prêtait éminemment au drame et à la satire ; la lionne pauvre est la femme mariée faisant métier de son corps et entretenant son ménage et son mari avec le prix de l’adultère. Simplement ignoble quand il est complice, profondément digne de pitié quand il est dupe, la figure du mari est évidemment tantôt la plus curieuse, tantôt la plus intéressante. M. Augier l’a compris ainsi, et à cet homme trompé il a donné dans sa pièce la première place. Dira-t-on que c’était son devoir de moraliste, j’affirme que c’est une faute de composition. Il ne faut pas forcer l’intérêt même pour les figures qui semblent le mériter le plus ; il y a double péril, inutilité réelle, fatigue pour le spectateur. On a vu le mérite de l’idée comme ressort dramatique ; je dois dire à regret que l’exécution me semble tout à fait manquée. Au point de vue scénique, la pièce est composée avec une extrême langueur ; les cinq actes tombent à vide les uns sur les autres, laissant le spectateur toujours à la même place et ne lui apportant aucun élément nouveau, aucun épisode, aucune action. Il n’y a véritablement pas de dénoûment, car le caractère principal est montré d’abord sous un jour si odieux, qu’il est impossible de le pousser plus avant dans le vice. Nous en savons dès le premier acte autant que nous en saurons après le dernier, et, sauf le gracioso dont nous parlions tout à l’heure, aucun des personnages n’est vivant ou réel. Leur nullité est encore augmentée par le peu de vérité de leur situation et par l’erreur où M. Augier est tombé dans sa mise en scène. Je vais m’expliquer sur ces deux points.

Quelque hardie qu’elle soit, j’admets l’idée, mais il me la faut vraie. Qu’est-ce que ce ménage Pommeau où l’auteur nous introduit ? Est-ce dans un pareil milieu que peut se produire la honte qu’il veut flétrir ? Entre un clerc