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du ministère, et c’est aussi sa force en un certain sens : ceux qui inclineraient volontiers vers la réaction le soutiennent pour ne point voir prédominer des influences plus libérales ; les partisans des précédens ministères l’appuient pour ne point laisser arriver au pouvoir M. Bravo Murillo. C’est ce qui explique comment le cabinet de M. Isturitz a eu constamment jusqu’ici la majorité dans les chambres sans trouver réellement dans cet appui un gage de force et de durée. Le parlement n’a nullement fait défaut au ministère, mais il l’a soutenu dans les conditions que nous venons de décrire, en le considérant à peu près comme un pouvoir provisoire, comme un témoin des luttes des partis, ou en essayant de le dominer, de lui imposer une volonté. Aussi a-t-on vu presque toutes les questions s’agiter en quelque sorte au-dessus de la tête du cabinet, qu’on se plaisait à représenter comme neutre, même quand il ne le voulait pas, même quand il s’efforçait de prendre couleur dans les discussions. Ce n’est point avec le ministère que les fractions militantes des chambres semblaient avoir affaire ; c’est entre elles qu’elles se disputaient pour ainsi dire un pouvoir en déshérence. Le parlement espagnol a malheureusement dépensé beaucoup de temps depuis quelques mois dans des luttes de ce genre, luttes d’autant plus vives que les dissidences du parti conservateur ont un caractère plus personnel. C’est ainsi que les chambres de Madrid sont arrivées prématurément à la fin de leur session, laissant en suspens les affaires les plus urgentes, la loi sur la presse, les derniers arrangemens avec le saint-siège concernant les biens ecclésiastiques, divers projets de réformes sur l’administration provinciale, sur le notariat, sur le régime hypothécaire. Il est vrai qu’en compensation le sénat a passé plus d’une semaine à débattre la question de la statue de M. Mendizabal ; le congrès de son côté a discuté pendant plusieurs jours sur la publication d’un discours de M. Bravo Murillo ou sur des questions réglementaires. C’est à ce moment qu’ont éclaté les dernières péripéties.

Quel a été le prétexte de la crise qui vient d’avoir lieu, crise toujours latente d’ailleurs, on le sait déjà ? Une difficulté s’est élevée dans le congrès au sujet d’une interprétation du règlement intérieur de la chambre. Le ministère aurait pu rester neutre ; il a mieux aimé se jeter dans la mêlée, il s’est prononcé nettement pour l’interprétation la plus favorable aux droits du président du congrès, et il a obtenu gain de cause ; mais pour la première fois il a trouvé contre lui une minorité assez considérable, et dans cette minorité comptaient quelques hauts fonctionnaires du gouvernement. De là grande émotion dans la majorité, qui se réunissait aussitôt et décidait que le cabinet devait être mis en demeure de faire acte de vigueur et d’autorité en frappant de révocation les fonctionnaires dissidens. Le président du congrès, M. Bravo Murillo, avait, dit-on, reçu la mission de faire savoir au gouvernement qu’une politique plus énergique était dans les vœux de la majorité ; et le ministre de l’intérieur lui-même, M. Ventura Diaz, se faisait l’homme de ces résolutions. Ce n’était point là cependant l’affaire du président du conseil, qui trouvait plus d’inconvéniens que d’avantages à subir cette pression de la majorité du congrès, et M. Ventura Diaz, trop imprudemment engagé en cette aventure, était obligé de donner sa démission. La difficulté était d’empêcher une dislocation plus complète du cabinet, et de