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parlementaire, entamée avec une animation extraordinaire, vient de se terminer par une déroute de l’opposition, qui a répandu dans les rangs du parti libéral un désordre inouï. Il y a partout en Europe, nous ne dirons point un dissolvant secret, mais des dissonances qui troublent le regard et la vue. C’est peu de chose encore au milieu du calme général que ces symptômes d’incohérence et de décousu ; mais les chefs d’orchestre feront bien d’y prendre garde. Nous vivons dans un temps où les questions morales et les questions politiques marchent, elles aussi, avec la promptitude de la vapeur et de l’électricité. Il serait dangereux, au milieu des mouvemens d’opinions qui se dessinent, de ne point consulter les signes du temps ou d’en méconnaître la portée.

Parmi les événemens de cette quinzaine, la première place appartient aux débats du parlement anglais.

Il nous est permis, à nous étrangers qui aimons et admirons les libres institutions de l’Angleterre, de juger avec une entière liberté d’esprit la lutte parlementaire qui s’est engagée sur la motion de censure présentée par M. Cardwell contre le ministère de lord Derby et de M. Disraeli. Les partis en Angleterre veulent tous, avec plus ou moins d’élan, le progrès politique, économique et social : ils sont tous libéraux ; il n’en est donc aucun qui puisse nous inspirer des préventions défavorables, et nous croyons être en mesure de dégager avec impartialité les enseignemens qui ressortent des derniers débats parlementaires. Il s’agissait, dans ces débats, d’une de ces luttes d’ambitions dont le pouvoir est le prix, luttes que les institutions parlementaires moralisent, car elles laissent à chacun des compétiteurs les chances égales, et soumettent leur talent et la bonté de la cause qu’ils représentent au jugement contradictoire de l’opinion publique. Le prétexte de cette lutte avait une importance incontestable, car il s’agissait d’un des incidens politiques les plus graves qui se soient présentés dans la direction des affaires indiennes depuis la révolte des cipayes et du royaume d’Oude. Le résultat immédiat de cette longue discussion a trompé les espérances des adversaires du ministère ; mais la discussion elle-même a donné lieu à des manifestations et à des mouvemens d’opinion qui, si l’on sait en tirer profit, doivent servir à la reconstitution régulière des partis au sein du parlement anglais. Or, cette reconstitution opérée, l’Angleterre ne peut que s’avancer avec plus de sûreté et de promptitude dans la voie des progrès sociaux et politiques.

Que l’on veuille bien se placer au point de vue de lord Palmerston et de ses amis. À leurs yeux évidemment, l’existence du cabinet de lord Derby et de M. Disraeli n’était qu’un accident temporaire, comme le fait même qui avait rendu nécessaire la formation de ce cabinet. Lord Palmerston et ses amis avaient été renversés dans la plénitude de leur ascendant, non point à cause de la direction générale de leur politique, mais à cause d’une mesure accidentelle qu’ils avaient présentée à la suite d’un événement étranger à l’Angleterre, et qui avait, contrairement à leurs prévisions, encouru la désapprobation de l’opinion publique. L’épisode qui a donné naissance au ministère de lord Derby une fois terminé, la mission spéciale que des circonstances extraordinaires avaient confiée à ce ministère une fois remplie, lord Palmerston et ses amis devaient naturellement aspirer à reprendre leurs