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enfin à n’aborder même sincèrement ce grand et beau rôle de modérateur de la révolution qu’avec les apparences et les inconvéniens de la vénalité. Ajoutons que Mirabeau ne parvenait pas même, comme d’autres vicieux, en faisant à ses sens une grande part, à préserver de leur tyrannie son intelligence et sa volonté. On voit, par les confidences de Mme de Nehra, à quel point il laissait troubler son âme par le dérèglement de ses instincts. Non-seulement il n’avait pas le courage de sacrifier à une femme qu’il estimait une femme qu’il n’estimait pas, mais, tout en exigeant de Mme de Nehra qu’elle fermât les yeux sur ses désordres, il souffrait dans son amour-propre de ne pas lui inspirer ce sentiment passionné et exclusif qui ne comporte point de tolérance. Il vient de nous apparaître tout à la fois dissolu et jaloux, partageant son cœur entre deux femmes, tandis que sa personne appartient à toutes celles qu’il rencontre sur son chemin, aussi agité, aussi furieux qu’un Othello, le pistolet à la main comme un héros de mélodrame, et cela dans un temps où il était déjà une puissance politique. Comment un homme aussi incapable de se gouverner lui-même aurait-il pu, malgré tout son génie, réussir à gouverner une révolution ?

Et cependant ce génie était admirable. Aujourd’hui que la correspondance secrète de Mirabeau avec la cour est publiée, on peut apprécier non plus seulement ses qualités oratoires, mais aussi la profonde sagacité de ses vues, la justesse de ses conseils, et en somme l’honnêteté de ses intentions comme conciliateur de la monarchie, de la liberté et de la démocratie. Dès lors comment ne pas regretter qu’une mort prématurée l’ait empêché de tenter la solution de ce problème qui continue à peser sur nous, et de remplir toute sa destinée ?

Qui sait s’il n’y a pas quelque chose de fondé dans la conviction qu’exprime Mme de Nehra, qu’elle l’aurait sauvé s’il ne l’eût point forcée de s’éloigner de lui. Il est certain que ce sont des excès plus encore que des travaux qui l’ont tué, et que ces excès se multiplièrent à partir du jour où il eut perdu la compagne aimable, douce et dévouée, qui réglait un peu sa vie et tempérait ses passions. L’idée que cette jeune femme aurait peut-être, en prolongeant l’existence de Mirabeau, contribué à changer le cours des événemens accomplis dans notre pays depuis 4789 ajoute une nuance de gravité à l’intérêt qu’elle inspire, et nous encourage à disputer à l’oubli son nom obscur et gracieux.


LOUIS DE LOMENIE.