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Nous étions convenus de partir au plus tôt ; nos malles étaient prêtes, quand un intérêt bien cher nous fit différer notre départ. Coco[1], que nous avions pris avec nous, bien qu’il ne sût ni parler ni marcher encore, Coco avait fréquemment des maladies violentes et continuellement une humeur sur les yeux. J’imaginai que l’inoculation, en le préservant pour l’avenir d’une maladie toujours dangereuse, quelquefois mortelle, pourrait purger cette humeur qui m’inquiétait. Il fut décidé que l’opération se ferait tout de suite, et que nous attendrions son rétablissement pour partir. Rien dans le monde n’aurait pu me faire consentir à abandonner cette aimable créature, ni à permettre qu’un autre que moi le soignât pendant sa petite vérole. Dans cet intervalle, M. Etienne Clavière faisait tous ses efforts pour engager Mirabeau à rester à Paris. Ils parlaient toujours finances. Clavière l’exhortait à écrire sur cette matière, et c’est à ces exhortations que la France doit l’ouvrage sur la Caisse d’escompte, la banque de Saint-Charles, etc. Il est à peine croyable tout ce que le fécond génie de Mirabeau produisit dans l’été et l’automne de 1785. Il n’était plus question d’aller à la campagne ; il passait sa vie chez Panchaud, dont il avait fait la connaissance au mois de mai. Ce fut dans cette maison qu’il se lia plus étroitement avec l’abbé de Périgord, qu’il connaissait un peu précédemment, et avec le duc de Lauzun, qui lui rendirent l’un et l’autre plusieurs services. Nous avions fait un voyage de quatre semaines à Bouillon pour l’impression de la Caisse d’escompte. MM. de Rohan et de Guémenée y étaient exilés. Ils nous virent tous les jours. M. de Guémenée se plaignait d’avoir été trompé par son homme d’affaires, et d’être accusé d’avoir voulu tromper tout le monde. Il donna quelques papiers à Mirabeau, qui lui avait promis d’écrire sur ce sujet, et de révéler plusieurs mystères d’iniquité ; mais il en fut détourné par les amis de M. de Guémenée, qui craignirent que la chaleur que Mirabeau mettait toujours dans tout ce qu’il écrivait ne retardât le rappel des deux princes, qui restèrent encore assez longtemps après nous à Bouillon pour s’ennuyer tout à leur aise. Ils étaient cependant extrêmement chéris de tout le monde dans cette petite ville, où, malgré le peu qui leur restait, ils faisaient beaucoup de charités. « Mirabeau m’aimait toujours également, même chaque jour plus tendrement, mais il me faisait de fréquentes infidélités : voyait-il un joli minois, une femme lui faisait-elle des agaceries, aussitôt il prenait feu. Ses intrigues ne duraient pas ; il en était quelquefois si ennuyé, qu’il me demandait conseil pour se débarrasser avec décence. Il ne prenait aucune peine pour me cacher ce qui ne me faisait aucun chagrin ; cet homme que l’on a dépeint

  1. M. Lucas de Montigny dit à ce sujet dans une note jointe au récit de Mme de Nehra : C’est moi qu’indique ce sobriquet de Coco, adapté depuis à mon nom dans le testament de Mirabeau. En voici le texte : « Je donne et lègue au fils du sieur Lucas de Montigny, sculpteur, connu sous le nom du petit Coco, la somme de 24,000 livres, qui sera placée en viager, sur sa tête et à son profit, par les soins de mon ami La Marck. Je veux que les arrérages de la rente soient touchés par M. de La Marck, sur ses simples quittances, pour les employer aux besoins du légataire, jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de vingt ans accomplis, à laquelle époque ce légataire pourra les toucher par lui-même, et sur ses simples quittances ; le tout sans que M. de La Marck soit tenu d’aucun compte au sujet des arrérages qu’il percevra et de l’usage qu’il en fera. »