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rivalité de ces deux vaillantes nations ne s’est pas amortie. Il y a deux cents ans, la guerre des deux Bourgognes était tout aussi acharnée que du temps de César ; les gens de « la duché » et de « la comté » faisaient des prodiges de valeur pour s’arracher Dôle ou Saint-Jean-de-Losne. Aujourd’hui, bien que le niveau de la révolution ait passé sur nos traditions provinciales, comme le niveau de la conquête romaine avait passé sur les passions celtiques, le vieux levain subsiste toujours. J’entendais naguère les bateliers de la Saône crier France ou Empire suivant qu’on devait approcher de la rive droite ou de la rive gauche[1], et je vois que l’on combat encore ; mais l’imprimerie seule fournit des armes dans cette lutte, qui est restée vive, quoiqu’elle ait cessé d’être sanglante : on n’échange plus que des argumens et des mémoires, on ne se dispute que l’emplacement d’Alesia.

Voilà ce que je me disais en ouvrant une brochure de M. Jules Quicherat, qu’un de mes amis m’avait envoyée, brochure fort piquante d’ailleurs, où la verve du style s’unissait à tout ce qu’annonçait le nom seul de l’auteur : érudition solide, grande habitude des discussions historiques et rare habileté à manier les textes. Encore bien novice sur ce terrain, je fus facilement convaincu et après la première lecture je ne doutais plus qu’Alesia ne dût être rendue à la Franche-Comté. L’occasion cependant était trop bonne pour se refuser le plaisir de relire quelques chapitres des Commentaires ; mais à cette jouissance sérieuse je voulus joindre un amusement plus frivole, et je saisis ce prétexte pour tourner, retourner et comparer un certain nombre de beaux livres. Toutefois ce n’était pas un simple passe-temps bibliographique que j’entendais me procurer. J’espérais que ces recherches pourraient achever de m’éclairer, confirmeraient ou modifieraient l’impression que m’avait laissée le plaidoyer de M. Quicherat, et, sans me borner à l’examen du texte de César, je voulus m’assurer si les nombreuses études consacrées au conquérant des Gaules par mainte plume savante ou illustre ne pouvaient pas jeter quelque lumière sur la question qu’on agite aujourd’hui. Je pris donc sur mes planches et j’étalai sur une grande table :

    de cette nature ; mais l’intérêt qui s’y attache tant pour l’histoire de notre pays que pour celle de la stratégie romaine nous fait accueillir un travail sérieux dont l’étendue, un peu inusitée dans la Revue, nous paraît rachetée par le soin consciencieux des recherches, l’enchaînement des preuves et la sincérité du récit. C’est donc non-seulement comme une œuvre d’archéologie historique, mais comme une étude d’histoire nationale, que nous le présentons à nos lecteurs. (N. du D.)

  1. Nous rappelons ces dénominations pour prouver la persistance des traditions locales, mais nous devons ajouter qu’elles ne sont pas exclusivement bourguignonnes ou comtoises : elles remontent à la division de l’empire de Charlemagne, et sont employées sur presque tout le cours de la Saône et du Rhône.