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de la conduite et des relations de Mirabeau. C’est Etienne Dumont (de Genève) qui, dans ses Souvenirs, a écrit quelques lignes sur Mme de Nehra. Quoique le passage qu’il lui consacre débute par une inexactitude de détail et une peinture forcée (on le verra tout à l’heure) du genre de sentiment qui attachait Mme de Nehra à Mirabeau, il conserve toute sa valeur comme appréciation de cette charmante et douce créature : « Mirabeau, dit Etienne Dumont, s’était attaché en Hollande à une femme aimable, qui tenait à une famille respectée, et qui avait uni son sort au sien par l’effet d’une passion qui l’avait emporté sur toutes les considérations du monde. Elle n’était pas mariée. Jeune, belle, remplie de décence et de grâce, elle était faite pour orner la vertu et pour mériter de l’indulgence à l’amour : ceux qui l’ont connue n’ont jamais pardonné à Mirabeau d’avoir sacrifié cette femme intéressante pour une mégère qui avait l’insolence du vice et se pavanait de ses désordres. Mme Lejay avait de l’intrigue, de l’artifice, de la méchanceté ; elle était flatteuse et passionnée ; elle n’a profité de son ascendant sur Mirabeau que pour exciter sa violence naturelle et servir son propre intérêt ; ses amis rougissaient pour lui en le voyant livré à une femme qui n’avait aucune qualité pour racheter ses égaremens[1]. » Cette Mme Lejay, qui fut en effet la cause de la rupture de Mirabeau et de Mme de Nehra, et dont celle-ci parlera tout à l’heure à son tour sans la nommer, était la femme d’un libraire de Paris. Son influence fut, comme le dit Dumont, très funeste à Mirabeau, car c’est principalement pour lui fournir de l’argent que l’éloquent orateur commit une des actions les plus inexcusables de sa vie, en laissant publier sous l’anonyme les lettres trop souvent diffamatoires et calomnieuses qu’il avait écrites durant sa mission secrète à Berlin, lettres qu’il fut obligé de désavouer honteusement, attendu que ce désaveu ne trompait personne. Mme de Nehra au contraire ne lui donna jamais que des conseils salutaires.

Mirabeau d’ailleurs nous a lui-même laissé de Mme de Nehra un portrait tout à fait conforme à celui qu’en a tracé Dumont. Voici comment dans divers passages de ses lettres à Champfort il peint sa jeune et intéressante amie : « J’ai une compagne de mon sort, une compagne aimable, douce, bonne, que sa beauté aurait infailliblement rendue riche, si ses excellentes qualités morales ne s’y étaient pas opposées Ma compagne est ce que vous l’avez vue, belle, douce, bonne, égale, courageuse, pénétrée de ce charme de la sensibilité qui fait tout supporter, même les maux qu’elle produit Vous verrez sa physionomie angélique, sa pénétrante douceur,

  1. Souvenirs sur Mirabeau, par Etienne Dumont, de Genève ; ch. XIV, p. 273, 274.