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cette république. Le dernier d’entre eux se retira dans la patrie de sa femme, et il y mourut. L’extinction de la race des Tsernoïevitch fit passer aux métropolites ou vladikas (c’est le nom que les Slaves du rit grec donnent en général à leurs évêques) le pouvoir des princes séculiers. L’établissement de cette théocratie fut sans doute un bien dans la situation où se trouvait alors le Monténégro. L’autorité paternelle d’un évêque était la plus propre à maintenir le peuple dans l’union. L’influence religieuse seule pouvait empêcher la dissolution d’un état dont chaque citoyen n’était qu’un soldat volontaire. Les princes-évêques du Monténégro ont traversé de bien mauvais jours et ont su conserver intact le dépôt qui leur était confié. En se renfermant dans leurs montagnes, et secourus, quoique faiblement, par Venise, les Monténégrins restèrent libres. Une seule attaque des Turcs, celle de Soliman, pacha de Scutari en 1093, fut victorieuse. Il pénétra jusqu’à Cétinié, brûla l’église et le couvent, détruisit tout sur son passage ; mais ses troupes se retirèrent bientôt, ne pouvant vivre sur ces rochers nus. Toutefois le pays, à l’exception, disent les Monténégrins, de la kolounska nahia, paya quelque temps le haratch. C’est le seul acte de soumission que les Turcs puissent invoquer en leur faveur.

Une période nouvelle s’ouvre à l’avènement de Daniel Pétrovitch Niegoch, au commencement du XVIIIe siècle, à la dignité de vladika, dignité qui depuis s’est toujours conservée dans la famille Pétrovitch. L’islamisme s’était introduit au Monténégro. Daniel, qui avait été victime d’une trahison des Turcs et torturé par eux, délivra son pays de cet ennemi intérieur par une de ces exécutions atroces que le salut d’un peuple excuse sans les justifier jamais. Ces vêpres monténégrines eurent lieu dans la nuit de Noël 1702.

Pierre le Grand comprit bientôt l’intérêt pour la Russie de s’attacher ces vaillans montagnards, rapprochés d’elle par la haine des Turcs autant que par une communauté de race et de religion. L’histoire des relations des Russes et des Monténégrins prouve que le dévouement de ce petit peuple aux tsars n’a jamais exclu un vif sentiment de son indépendance, et que si ses puissans protecteurs lui ont fait payer quelquefois leur générosité, ils n’ont jamais pu payer ses sacrifices.

Les Turcs avaient à venger une cruelle défaite essuyée par le seraskier Achmet-Pacha en 1712. Deux ans après, en 1714, ils envahirent le Monténégro avec 120,000 hommes. Le vizir Douman-Keuprili se défit traîtreusement des chefs monténégrins, qu’il attira à une entrevue. Pénétrant dans l’intérieur du pays, il massacra une grande partie de la population et emmena 2,000 hommes en esclavage. Cette invasion passa comme une avalanche ; le Monténégro fut