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Cette arithmétique expéditive manqua pourtant son but, car la conscience publique ne tarda pas à se soulever contre ce système de violence et d’arbitraire qu’on dirait emprunté aux plus mauvaises inspirations de nos gouvernemens révolutionnaires. Une sorte de terreur suspendit toutes les transactions commerciales ; le numéraire, étant devenu la dernière ressource de tant de familles menacées, cessa de circuler, et la vie de la nation fut suspendue devant l’audace des délateurs et le nombre chaque jour croissant des accusés. Le régent, qui répugnait aux mesures rigoureuses par instinct comme par calcul, prit parti pour les victimes contre les spoliateurs, encore que ceux-ci parussent agir par son ordre. Tant de mesures inefficaces ou cruelles le conduisirent assez naturellement à chercher un remède plus sérieux aux maux qu’il avait reçu charge de guérir dans l’application des plans d’un homme qui substituait à la hideuse perspective du gibet et du pilori la promesse d’un mystérieux Pactole coulant au sein d’un royaume calme et prospère. Au commencement de 1717, un édit mettait fin aux poursuites de la chambre de justice « pour ne pas prolonger, avec la dangereuse interruption du commerce, l’ébranlement général de tout le corps de l’état, et pour faire cesser l’usage d’un remède que les vœux de toute la France avaient demandé, et dont elle désire également la fin[1]. » Après le visa, la refonte des monnaies et les confiscations, l’on allait donc demander au crédit ce que n’avaient pu donner ni les inventions de la fiscalité ni les arrêts de la justice ; le duc de Noailles et le conseil des finances étaient déjà à peu près vaincus par l’audacieux étranger, que l’enivrement du succès ne tarda pas à conduire des idées les plus saines aux plus délirantes conceptions.

Une administration collective, sans unité et sans direction, était manifestement incapable de faire face à d’aussi sérieuses, difficultés. Le système des conseils se trouva donc frappé à mort dans l’opinion publique bien avant que le régent se décidât à le frapper à son tour en rétablissant les formes de gouvernement qui existaient sous le précédent règne, changement à peine remarqué, tant il était devenu nécessaire, qui s’opéra d’ailleurs avec l’approbation d’hommes convaincus de leur.insuffisance et promptement lassés de leur importance d’emprunt[2].

Pendant que l’aristocratie française perdait ainsi, dans une tentative avortée, la seule partie sérieuse que la maison de Bourbon lui

  1. Forbonnais, t. II, p. 468.
  2. Édit du 24 septembre 1718, qui rétablit les anciennes secrétaireries d’état.