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d’ailleurs un grand pied dans les affaires, assigna un emploi que le public estima aussi supérieur à son mérite qu’il le jugeait lui-même inférieur à ses services[1].

Mais le choix qui contribua surtout à la bruyante et passagère popularité des premiers jours, ce fut celui du cardinal de Noailles, car le parti janséniste vit dans ce nom le gage de sa victoire. Lorsque le vieil archevêque de Paris fut appelé, du fond d’une retraite où sa liberté avait été menacée, à la direction des affaires ecclésiastiques, comme chef du conseil de conscience, il apparaissait avec le prestige alors attaché à un homme de son nom tombé dans la disgrâce de Louis XIV et brouillé avec Mme de Maintenon. Le cardinal représentait le jansénisme autant qu’un prêtre timide et incertain pouvait représenter une école implacable et persévérante, autant surtout qu’un homme de sa qualité pouvait être l’expression d’une doctrine qui était alors la forme la plus accusée de l’opposition politique. En même temps que le régent confiait le soin des affaires ecclésiastiques au cardinal de Noailles, il exilait à La Flèche le père Tellier, qui, loin d’adoucir, comme avait su le faire le père de La Chaise son prédécesseur, les rigueurs d’un système personnel à Louis XIV, avait eu la maladresse de s’en faire le bouc émissaire Tous les rôles se trouvèrent donc intervertis, et beaucoup plus complètement, il faut le dire, que ne l’aurait voulu le régent. Parfaitement indifférent aux questions controversées et les envisageant dans un seul intérêt d’état, ce prince rêvait la pacification religieuse par la liberté de la controverse et le rapprochement des personnes ; mais le jansénisme, se sentant vent arrière, entendait pousser en avant, et dédaignait une transaction qui l’aurait laissé à moitié chemin de la victoire. Un arrêté avait ouvert les prisons aux victimes des dissensions religieuses[2]. De plus, le régent s’efforçait, en témoignant une égale bienveillance aux chefs des deux partis, de les rapprocher les uns des autres, et ses premiers choix pour l’épiscopat portèrent le cachet d’un éclectisme qui lui

  1. Voyez, dans la Revue du 15 février 1857, l’étude sur Saint-Simon.
  2. Les détentions, qui avaient été nombreuses au moment même de la publication de la bulle Unigenitus, étaient déjà singulièrement réduites au 1er septembre 1715, jour de la mort de Louis XIV. L’auteur de l’Histoire de France durant le dix-huitième siècle a tracé une dramatique peinture de la procession des prisonniers sortant en longues files des cachots de la Bastille au milieu des larmes du peuple et de ses cris de reconnaissance. Un écrivain moins brillant que M. de Lacretelle, mais mieux renseigné sur ces matières, affirme, d’après des documens contemporains et la liste nominative des prisonniers, que lors du décret qui les rendit à la liberté, ceux-ci étaient au nombre de six seulement, et il soutient qu’au lieu de sortir solennellement en procession, ils prirent tous place de nuit dans un seul et même fiacre. (Mémoires pour servir à l’Histoire ecclésiastique du dix-huitième siècle, par M. Picot, tome Ier, p. 372.)