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régence. Cependant il dut promettre de gouverner de l’avis de celui-ci et « en s’éclairant toujours des sages remontrances de messieurs du parlement. » Un tel engagement impliquait des difficultés très prochaines, et le nouveau chef de l’état les pressentait mieux qu’un autre, car son humeur était parfaitement incompatible avec celle d’une cour routinière et formaliste ; mais en révolution l’à-propos des concessions est la première condition du succès. Le prince savait fort bien d’ailleurs que l’autorité royale était le seul ressort encore puissant en France, et le régent était trop résolu à oublier les promesses du duc d’Orléans pour ne pas acheter la victoire du jour au prix des embarras du lendemain.


II

Lorsque cette révolution dans l’opinion et dans sa fortune porta ce prince au sommet de la puissance, il avait dépassé quarante ans, et les longues vicissitudes de sa vie avaient refoulé la plupart des belles qualités de sa nature pour n’en mettre en saillie que les défauts. Si l’adversité élève et retrempe les grandes âmes, elle abaisse et énerve les grands esprits, lorsque le cœur n’est point à la hauteur de l’intelligence. Ce fut la destinée du duc d’Orléans. Condamné par une déplorable politique à laisser sans emploi des facultés supérieures, et trop faible pour supporter sans fléchir une oisiveté dangereuse même pour les forts, il étouffa, d’abord par désespoir et bientôt après par système, les merveilleux éclairs qui avaient illuminé sa jeunesse, cherchant en vain dans le scepticisme et les voluptés le calme qu’il aurait probablement trouvé dans une vie pleine et régulièrement ordonnée. Ce fut ainsi que le prince dont d’autres circonstances auraient pu faire un grand homme devint un libertin spirituel, chez lequel il ne reste plus à louer qu’une habileté heureusement supérieure aux instincts, parfois vulgaires, qui l’inspiraient, et cette bonté toute négative à laquelle l’indifférence a plus de part que la générosité.

La Princesse Palatine, dont on ne saurait trop relire, pour l’étude de ce temps-là, la correspondance cyniquement originale, avait coutume d’expliquer par un piquant apologue les motifs qui rendaient stériles chez le jeune duc de Chartres les aptitudes les plus diverses et les plus rares. Toutes les fées, disait-elle, avaient été conviées au baptême du prince son fils, et chacune l’avait doué comme à plaisir d’une qualité particulière. Il était brave comme un paladin, savant comme un docteur, spirituel comme un démon ; il parlait, chantait et dansait à ravir, comme font tous les enfans dotés par de telles marraines. Malheureusement il arriva qu’une vieille fée, oubliée