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l’âne. D’abord M. Nils, se croyant à cheval sur l’ourse fantastique, fit des cris perçans, d’autant plus qu’il n’avait jamais vu d’âne, et qu’il n’était pas moins effrayé des longues oreilles de Jean qu’il ne l’eût été des cornes du diable ; mais il se rassura peu à peu en voyant la douceur et la tranquillité de sa monture. M. Goefle lui mit en main le flambeau à trois branches, il tira lui-même l’âne par la corde, et ils sortirent tous trois du donjon, se dirigeant vers l’écurie, en suivant, le long du préau couvert de neige, la galerie de bois, à auvent moussu, qui en faisait le tour.

En ce moment, Ulph sortait du pavillon habité par son oncle, et se dirigeait vers le donjon, portant d’une main une lanterne, de l’autre un grand panier rempli des ustensiles nécessaires pour mettre le couvert de M. l’avocat. Cette fois Ulph était aussi désireux de rentrer dans la chambre de l’ourse qu’il avait été naguère contrarié d’y entrer. C’est qu’il éprouvait cet invincible besoin de société qui s’empare d’un homme épouvanté par la solitude. Voici ce qui était arrivé à Ulph.

En vrai Suédois, Ulph était la prévenance et l’hospitalité même ; mais, depuis quelques années qu’il habitait la sombre masure du Stollborg, en compagnie d’un personnage morne et sourd, le pauvre Ulph était devenu si superstitieux et si poltron, qu’après le coucher du soleil il ne manquait jamais de se barricader dans sa chambre, résolu à laisser périr dans les glaces et dans les neiges quiconque lui faisait entendre une voix suspecte. Si M. Goefle n’eût trouvé la porte du manoir ouverte par le vigoureux poignet de Puffo, et si Ulph n’eût pas reconnu la voix de l’avocat dans le préau, l’estimable docteur en droit eût été certainement forcé de retourner au château neuf, dont il redoutait si fort le bruit et l’encombrement.

Après l’avoir introduit dans le donjon, Ulph s’était un peu tranquillisé. Il s’était même dit que tout était pour le mieux, vu que si M. Goefle voulait affronter le diable, c’était son affaire, et qu’il valait encore mieux le recevoir que d’être forcé de le reconduire au château neuf, ordre qui eût entraîné pour le pauvre guide la fâcheuse nécessité de revenir seul sur le lac, peuplé de gnomes effroyables. Heureusement le vieux gardien du Stollborg, malingre, frileux, habitué à dormir de bonne heure, s’était enfermé dans son pavillon, situé au fond d’une seconde petite cour, et dont les fenêtres, donnant sur le lac, n’avaient pas vue sur le préau. Il n’y avait donc guère d’apparence qu’endormi ou non, il se doutât de la présence de son hôte avant le lendemain matin. Après mûre réflexion, Ulph avait résolu de ne pas l’avertir et de préparer de son mieux le souper de M. Goefle. Sten était fort sobre ; mais il était l’objet des plus grandes attentions de la part de son maître, le baron de Wal-