Nils vit, bien que M. Goefle se moquait de lui, et il se mit à rire. Le docteur s’applaudissait de son moyen de guérir les enfans de la peur, lorsque Nils, redevenu tout à coup silencieux, lui dit : — Monsieur Goefle, allons-nous-en d’ici ! C’est un endroit bien laid !
— Très bien ! s’écria l’avocat avec humeur. Voilà les enfans ! J’ai la bonté d’apprendre à monsieur que l’ourse est une constellation, et il a beaucoup plus peur qu’auparavant !
Nils, voyant son maître fâché, s’en prit encore une fois à ses yeux. C’était un enfant gâté et cependant craintif. M. Goefle, bon par excellence, se persuadait et se plaisait à dire qu’il n’aimait pas l’enfance, et que si quelque chose le consolait de ne pas avoir songé au mariage en temps utile, c’était la liberté d’esprit assurée à ceux qui n’ont pas l’ennui des marmots et la responsabilité de leur avenir. Cependant la vive sensibilité dont il était doué, et que les enthousiasmes et les excitations du barreau n’avaient fait que développer à son insu, lui rendait insupportables les chagrins et les pleurs des êtres faibles, si bien que, tout en grognant contre la sottise de son petit valet, tout en se confirmant dans sa passion pour les discussions éclairées ou subtiles qui gagnent les causes quand on parle à des hommes et qui les compromettent quand on parle à des enfans, il s’efforça de consoler et de rassurer celui-ci ; il alla même jusqu’à lui promettre que, si la grande ourse se présentait à la porte de la chambre, il lui passerait son épée au travers du corps plutôt que de la laisser entrer.
M. Goefle se pardonna ce qu’il appelait son absurde condescendance en sentant un joli récit de sa soirée au Stollborg s’arranger de lui-même dans sa tête pour le divertissement de ses amis de Gevala.
Cependant Ulph ne revenait pas. Qu’il lui fallût du temps pour trouver de quoi souper dans le modeste ménage de maître Stenson, M. Goefle le concevait ; mais qu’il ne rapportât pas de lumière, c’était un oubli impardonnable.
Le bout de chandelle allait finir dans la lanterne, et l’avocat, qui avait toujours la main blanche et la manchette irréprochable, n’osait toucher à ce vilain ustensile pour s’éclairer autour de la chambre. Il prit pourtant ce parti pour aller voir si, dans la pièce voisine, il ne trouverait pas quelque provision ou quelque reste de bougie dans l’armoire dont Ulph lui avait laissé la clé. Nils le suivit en le tenant doucement par le pan de son habit.
Ces deux chambres, qui pour M. Goefle en ce moment représentaient la jouissance d’un seul appartement, étaient séparées l’une de l’autre par l’épaisseur d’un très gros mur et par deux portes solides. M. Goefle connaissait bien la localité, mais il y avait si